Fractures territoriales... ? Ou comment Christophe GUILLUY démonte les vieux clichés !

Fractures territoriales... ? Ou comment Christophe GUILLUY démonte les vieux clichés !

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Christophe GUILLUY

Géographe

Ses travaux en géographie sociale abordent les problématiques politiques, sociales et culturelles de la France contemporaine par le prisme du territoire.


04 janvier 2017

En 2016, lors de la dernière conférence donnée dans la cadre du salon CITE21, il a été largement débattu de la loi du 7 août 2015 portant Nouvelle Organisation Territoriale de la République ou loi « NOTRé », qui a conduit à revoir un certain nombre des compétences des Conseils Départementaux. C’est dans le prolongement de ce débat antérieur que le Conseil Départemental de Côte d’Or invitait le géographe Christophe GUILLUY, dont le dernier ouvrage fait débat… un géographe sur le terrain qui connaît un grand écho médiatique tout autant que politique.

Pour introduire cette conférence portant sur les fractures territoriales, François Sauvadet, président du Conseil Départemental a signifié que le Département souhaite aller vite dans les transferts de compétences, pour que chacun assume clairement ses responsabilités, que l’on évite les confusions. La loi NOTRé va impacter fortement nos politiques, puisque, vous le savez (voir précédents articles), le Département ne possède plus directement les compétences économiques et agricoles.

Christophe Guilluy connait bien les territoires français pour y être allé au contact des acteurs, notamment des collectivités territoriales, des maires, ceux qui agissent, qui ont les mains dans le cambouis et assument les responsabilités. Il n’a pas eu peur de poser les vraies questions, celles des fractures… des fractures territoriales, un sujet pris à bras le corps en Côte-d’Or, comme une évidence, parce que la Côte-d’Or est, en quelque sorte, une petite France un résumé concentrant sur son territoire tous les enjeux décrits par le géographe.

fractures territoriales 2016 marie quiquemelle echo des communesFrançois Sauvadet en profitera pour suggérer… « Une ville, Dijon, devenue l’an dernier une communauté urbaine et qui deviendra probablement une métropole en 2018… pèse, à elle seule, près de la moitié de la population du département, qui est lui-même le 4è département français par la superficie. La Côte-d’Or, c’est 540 000 habitants répartis sur 8 763 km². Vous ajoutez à cela l’axe Dijon-Beaune, particulièrement actif, et vous voyez se dessiner, en effet, une France périphérique, en déprise démographique, qui se paupérise. »

France périphérique… de quoi parle-t-on ?

27,4 millions de Français vivent dans les campagnes, en comptant les espaces périurbains. 90 % du territoire français est composé de campagnes périurbaines, campagnes agricoles et industrielles et campagnes à faible densité en 2016. 5,4 % des Français vivent dans l’éloignement, sur une zone représentant 26 % du territoire. 47,4 % de la population est couverte par le Très Haut Débit au 1er trimestre 2016. Entre 1970 et 2016, la distance moyenne entre le domicile et le travail des actifs a doublé, passant de 6 à 12 km.

Le vote en faveur du Front National est plus élevé dans les communes dont les petits commerces et les services sont absents. Dans 26 841 communes comptant jusqu’à 1000 habitants, le Front National enregistre des scores moyens de 30,9 % quand il n’y a aucun commerce ou service et de 23,5 % seulement quand il y a au moins 6 commerces et services.

En termes de démographie, le taux de variation annuel de la population dans l'ensemble rural est essentiellement porté par un solde migratoire largement positif. L’ensemble rural enregistre en effet un solde naturel déficitaire de 0,2 % en moyenne depuis 1990, les décès sont donc structurellement supérieurs au nombre des naissances.

En revanche le seuil démographique de la Côte d’Or, et principalement du nord du département, est en démographie ascendante constante depuis 10 ans… et j’entends déjà retentir les sonnettes « et les territoires désertiques … et le village untel etc… », nous parlons du territoire global !

De la Côte-de-Nuits au Châtillonnais, du centre-ville de Dijon à l’Auxois et au Morvan, le niveau de vie n’est pas le même, les préoccupations ne sont pas les mêmes. On remarque alors que les classes populaires ne vivent plus dans les territoires qui créent de la richesse mais voit bien, cependant, que dans les campagnes les populations souffrent ce que confirment les chiffres de l’INSEE. Il y a de l’attente… des attentes… de solidarités, d’écoute, de compréhension des enjeux. 

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Dans un département comme la Côte-d'Or, où l'agriculture occupe une place essentielle dans l'économie et l'emploi, on ne peut pas rester les bras ballants face à une situation qui n’a jamais été aussi critique. « Alors bien sûr, dans les campagnes, on ne fait pas grève, on ne manifeste pas, on ne brûle pas les voitures et les écoles… Pour François Sauvadet la population y est plus âgée et c’est une toute autre culture. »

Des forces puissantes agissent sur tout le territoire français, la concentration des services, la fermeture de commerces, l’enclavement, la déprise économique. Et dans le même temps, des millions de Français, rêvent d’une vie différente de celle qu’ils vivent dans les villes.

Les réformes successives, redécoupage des cantons, suppression de la moitié d’entre eux, fusion des Régions puis des intercommunalités à marche forcée, contribuent à un sentiment d’abandon au sein du milieu rural, ce sentiment d’éloignement de la prise de décision qui renforce la méfiance de nombreux élus vis à vis des lois NOTRé et ALLUR (Loi pour l’Accès au Logement et à un Urbanisme Rénové dont on parle moins cependant). Il est sans doute vrai que c’est une rupture dans la vie politique française, que de considérer que la représentation des populations doit primer sur la représentation des territoires.

Aujourd’hui, en Côte d’Or, la moitié des conseillers départementaux sont issus de l’agglomération dijonnaise. Et s’il ne s’agit d’opposer villes et campagnes, on voit bien l’impact des réformes sur la gestion publique et des territoires … Comment pourrait-on fonder l’avenir d’un pays comme la France exclusivement sur le fait métropolitain. Est-ce une erreur considérable ? Une erreur qui serait de nature à précipiter le vide au cœur de l’espace rural ?

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En théorisant le fait que dans notre département, il ne peut pas y avoir de territoires et d’habitants oubliés, dans le cadre des politiques publiques. C’est un débat qui doit dépasser les clivages politiques car l’aménagement du territoire est probablement le plus grand défi du XXIème siècle. Le géographe Christophe Guilluy s’est penché donc sur ce défi !

Christophe Guilluy a rejoint la cohorte des philosophes, démographes, sociologues et autres politologues qui sont réputés venir de la gauche, mais qui, à un moment donné de leur réflexion, estiment en leur âme et conscience devoir rompre avec l’idéologie dominante, tant celle-ci leur paraît enfermée dans le déni de réalité.

Des fractures territoriales au Crépuscule de la France d’en haut, il a proposé aux 200 élus présents cette conférence une lecture différente entre le clivage fondamental de la société française qui s’organise moins autour de l’opposition entre la ville et ses banlieues que dans une coupure entre les « métropoles » et la France périphérique, c’est-à-dire tout le reste, les banlieues, les zones péri-urbaines, les petites et moyennes villes et ce qui subsiste du pays rural.

De quoi inquiéter ? Rassurer ? En tous cas séduire par une approche sans concession loin des clichés habituellement véhiculés sur l’avenir du monde rural, sans doute, du périurbain à n‘en pas douter. Certains trouveront que la réflexion du géographe qui tourne autour de la notion de classe sociale et utilise abondamment le concept de classe populaire, comporte horresco referens quelques relents de marxisme.

France métropolitaine-France périphérique… de la fracture territoriale ?

La France métropolitaine est déterminée à partir du rang des aires urbaines qui sont retenues soit l’ensemble des communes appartenant aux 15 premières aires urbaines de France, soit 40 % de la population.

La France périphérique est composée de l’ensemble des autres communes. Elle comprend donc des aires urbaines, des pôles urbains modestes, des communes hors influence urbaine, soit 60 % de la population. De territoires où on déménage, emménage, mais sont-ils tous mobiles ?

Et oui… si les territoires les plus mobiles de France n’étaient pas ceux auxquels on pense habituellement ? En effet la mobilité résidentielle dans les ZUS est la plus importante avec une proportion de personnes ayant changé de logement entre 1990 et 1999 avec 61% de flux. Dans les quartiers de parc locatifs privés anciens, aisés il est également de 61 %, dans les quartiers de parc privé ancien et modestes il est de 58 %, dans les quartiers d’habitat social il est de 55 % et de 51 % pour les copropriétés et parc locatif aisé. Dans les quartiers pavillonnaires anciens, modestes il est de 49 % et de 41 % en quartiers pavillonnaires récents, modestes.

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La France des fragilités sociales et La France périphérique 

Pour la première fois dans l’histoire, les classes populaires ne vivent plus sur les territoires qui créent la richesse puisque 60 % de la population vit sur des territoires périurbains fragiles et des espaces ruraux. Les petites villes et villes moyennes voient un nouvel essor et on découvre l’importance du temps partiel, de l’intérim, du CDD…

Christophe Guilluy propose, ainsi, une leçon inédite de géographie sociale s'appuyant sur sa discipline, il révèle une situation des couches populaires très différente des représentations caricaturales habituelles. Leur évolution dessine une France minée par un séparatisme social et culturel. Derrière le trompe-l’œil d'une société apaisée, s'affirme en fait une crise profonde du vivre ensemble.

fractures territoriales 2016 marie quiquemelle echo des communesLa bourgeoisie triomphante du XIXe siècle a disparu. Ses petits-enfants se fondent désormais dans le décor d'anciens quartiers populaires, célèbrent la mixité sociale et le respect de l'Autre. Finis les Rougon-Macquart, bienvenue chez les hipsters... Bénéficiaire des bienfaits de la mondialisation, cette nouvelle bourgeoisie en oublie jusqu'à l'existence d'une France d'en bas, boutée hors des nouvelles citadelles que sont devenues les métropoles. Pendant ce temps, dans la France périphérique, les classes populaires coupent les ponts avec la classe politique, les syndicats et les médias. Leurs nouvelles solidarités, leur souverainisme n'intéressent personne. Le grand marronnage des classes populaires, comme avant elles celui des esclaves qui fuyaient les plantations, a commencé. On croyait la lutte des classes enterrée, voici son grand retour !

« Lorsqu'on connaît la crise économique, sociale, identitaire que traversent les catégories populaires sur les territoires de la France périphérique, ce débat médiatico-politique sur la bonne échelle régionale paraît totalement anachronique. L'ouvrier à 800 euros par mois qui habite au fin fond de la Normandie se moque de savoir si le duché de Normandie va être reconstitué. Après le résultat électoral du 25 mai, lancer un tel débat, c'est dire aux Français, «je ne vous ai pas compris et je ne vous comprendrai jamais !». Pourquoi 14 régions et non pas 6 ? Si on part du principe que pour être fort, il faut regrouper les régions, je propose de regrouper les 22 régions et d'en faire une méga région qu'on appellerait «la France » répondait récemment Christophe Guilluy.

Pour le géographe « dissident » les solutions politiques et une nouvelle attitude sont possibles, pour peu que les nouveaux antagonismes qui travaillent la société soient reconnus et discutés publiquement. Il y a urgence car si la raison ne l'emportait pas, les pressions de la mondialisation qui élargissent les fractures sociales et culturelles risqueraient de faire exploser le modèle républicain

« Aménager le territoire, c'est prendre conscience de l'espace français comme richesse et comme devoir » nous disait l’ancien ministre Edgard Pisani (décédé en juin 2016). 

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Crédit photos Marie Quiquemelle

m.quiquemelle@echodescommunes.com

mariequiquemelle@gmail.com

 

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