Magie de Noël et faux tableaux

 

Noël et Jour de l'An en Côte-d'Or

Magie de Noël et faux tableaux.

A travers une enquête en 5 épisodes, courts, légers et avec une pointe d'humour, découvrez les traditions populaires , les légendes de Noël et du nouvel an en Côte-d'Or. Une histoire sous forme d'enquête policière détendue, en 5 épisodes publiés entre le 2 et le 30 décembre.

L'action se déroule en 1958. Pendant l'arrivée du père Noël sur le toit de l'Hôtel de Ville, des tableaux sont dérobés au musée des Beaux-Art… L'enquête fait découvrir des événements réels, des traditions populaires, des légendes de Noël et du Nouvel An en Côte-d'Or, le tout avec une pointe d'humour.

 

Episode 1 - 2 décembre Lire
Eugène Roulebosse assiste à l'allumage des premières illuminations dijonnaises, le 16 décembre 1958.
Il veut s'offrir pour Noël un tableau pour son appartement.
Episode 2 - 9 décembre Lire

Le père Noël apparait sur le toit de l'hôtel de Ville. Topo sur l'histoire du père Noël. Vol des tableaux au musée.
Episode 3 - 16 décembre Lire

Origine des boules de Noël. Traditions de Noël à Champdotre, Venarey… Un homme est arrêté avec la copie d'un tableau volé.
Episode 4 - 23 décembre Lire
Traditions autour de la bûche de Noël. Nouvelle arrestation pour rien.
Episode 5 - 30 décembre
Traditions et légendes du nouvel an. Eugène Roulbosse découvre le pot aux roses. 

 

Magie de Noël et faux tableaux.

 

Episode 1 - 2 décembre
Eugène Roulebosse assiste à l'allumage des premières illuminations dijonnaises, le 16 décembre 1958.
Il veut s'offrir pour Noël un tableau pour son appartement.

16 décembre 1958, premières illuminations à Dijon.

Mardi 16 décembre 1958. Il pleut sur Dijon. Pourtant, les badauds sont nombreux dans les rues de la ville, emmitouflés dans de longs imperméables, abrités sous leur parapluie. Un grand événement se prépare, et ce n'est pas quelques gouttes de pluie qui vont troubler la fête. La nuit a recouvert la cité de Jean-sans-Peur depuis une bonne demi-heure déjà.

Eugène Roulebosse* quitte la galerie de peintures installée derrière l'Hôtel de Ville pour rejoindre la cour d'honneur. Sa quête d'un tableau pour améliorer le décor de son bureau n'a rien donné. Les peintures qu'on lui a présentées ne l'enthousiasme pas. Quant aux copies d'œuvres célèbres, il ne les trouve pas non plus satisfaisantes. Il ronchonne :

- Pour une fois que je suis décidé à m'offrir un petit Noël, à investir quelques billets pour améliorer mon intérieur, pas un qui me propose une œuvre satisfaisante. Pas un copiste capable de nous faire des Manet ou Pissarro digne de ce nom. Ah ! Cet "Effet de neige à Eragny" de Pissarro ! Un ciel trop blanc, des prés trop verts ! Je veux bien afficher une copie, mais une belle copie. Pas une croute !

Dans la cour d'honneur de l'Hôtel de Ville, on a dressé une imposante estrade. Entourant un curieux dispositif, des micros sont dressés dans l'attente des personnalités du jour. Les curieux, adultes et enfants, ont envahi les lieux et s'entassent malgré la météo rebelle. Eugène se mêle à eux.

 Enfin, un personnage bien connu fait son apparition. De petite taille, habillé d'une soutane noire, un large sourire aux lèvres, le chanoine Kir, maire de Dijon réussit son entrée. Insensible aux gouttes, il monte tranquillement les marches de bois et s'installe sur l'estrade.

Eugène Roulbosse tend l'oreille :

- Bon ! Nous allons encore avoir droit à un discours bien sentit.

Effectivement, le chanoine Kir débite un discours de circonstance riche en anecdotes, trop long pour les curieux impatients et frigorifiés par une brise glaciale. Puis il s'approche cérémonieusement de la mystérieuse installation. Il appuie franchement sur un bouton et d'un coup, les rues de la ville s'illuminent. Une multitude de guirlandes d'ampoules jaunes et rouges, aux couleurs de la Bourgogne, s'allument ensemble dans les rues commerçantes du centre. Des décors lumineux suspendus enjolivent les rues. Les nombreux promeneurs et admirateurs applaudissent. Malgré la pluie, tout s'est passé normalement. Il faut quand même préciser qu'on avait prudemment fait des essais les jours précédents.

- C'est pas mal, avoue Eugène en lui-même. C'est vrai que le choix de ces couleurs donne une ambiance chaleureuse à la ville.

Accompagné d'une partie du conseil municipal, d'un responsable d'EDF et d'autres personnalités diverses, le maire part à pied à la découverte de ce festival de lumières. Monsieur Pelletret, président du syndicat d'initiative et de l'association des manifestations commerciales qui a eu l'idée des illuminations, est à ses côtés. Plus de 1 500 commerçants, hôteliers, cabaretiers, cafetiers ont participé à cette première animation. Le tour du quartier achevé, le cortège officiel revient à l'hôtel de ville se mettre à l'abri et surtout, partager le traditionnel vin d'honneur, le fameux blanc-cassis.

Dans le journal du lendemain, on peut lire une énorme publicité :

"Dijon, capitale de la lumière. Dijon, dans toutes ses rues, sur toutes ses places, a revêtu cette année pour vous une parure lumineuse sensationnelle. Cet effort remarquable et inédit mérite votre visite".

Un superbe résultat effectivement. Mais… inédit ?… C'est oublier un peu vite que l'idée n'était pas si nouvelle. À deux pas d'ici, la bonne ville de Beaune illuminait joliment ses rues depuis plusieurs années déjà !

De son côté, Eugène Roulebosse ronchonne en pliant son journal.

- C'est bien beau tout ça, mais j'ai peur pour nos futures feuilles d'impôts ! On va encore trinquer !

Il n'est pas le seul à se faire du mouron. Si l'ampleur des illuminations a charmé, elle inquiète aussi les Dijonnais. Dans les jours qui suivent, monsieur Pelletret doit expliquer dans le journal que les trois quarts des frais sont acquittés par les commerçants, hôteliers, cabaretiers, cafetiers… qui payent ce qui est installé sur leur façade. Le dernier quart est pris en charge par l'association des manifestations commerciales.

Le reste de la semaine, maître Roulebosse poursuit la recherche du tableau idéal, allant d'une galerie à l'autre. Il ne sait pas encore que sa quête va prendre une tournure inattendue, que Manet et Pissarro seront bientôt à la une de toute la presse locale.

 

Episode - 9 décembre

Le père Noël apparait sur le toit de l'hôtel de Ville. Topo sur l'histoire du père Noël. Vol des tableaux au musée.

 

24 décembre.  18 h. Place de la Libération à Dijon.

Avec l'arrivée de la nuit, la brume qui couvrait la ville depuis le matin a fini par disparaître. Les enfants anxieux, regroupés avec leurs parents face à la mairie, attendent patiemment. On piétine, inquiet, surveillant l’heure. Viendra, viendra pas ? Les gamins assaillent leurs aînés de questions auxquelles ils font semblant de ne savoir répondre.  Les aiguilles dorées de l'horloge du fronton égrainent lentement les minutes.

Enfin, des projecteurs s'allument et commencent à balayer les toits du palais ducal. La foule rassurée retrouve le sourire et les premiers applaudissements fusent de toute part. Tout à coup, surgissant de derrière une cheminée, le Père Noël apparaît. Des centaines de petits doigts se tendent dans sa direction.

- Le voilà, le voilà…!

Les gamins sautent de joie. Le personnage est vêtu de la traditionnelle longue houppelande rouge et porte une belle barbe blanche. Il se déplace sur le toit avec aisance en faisant de grands gestes. Les spectateurs admirent le mépris du vertige de ce Père Noël qui dans le civil, doit exercer un métier permettant de voir les choses de haut !

- Il n'a pas lésiné sur la barbe, s'exclame une adolescente. Puis elle ajoute :

- Avec la nuit, il risque de s'empêtrer dans son manteau et de se casser la figure. Pourquoi un manteau rouge, au fait ?

- Une idée des Américains pour vendre du soda, répond son père. Le père Noël nous vient des États-Unis.

- Foutaise, intervient un homme drapé d'un long duffelcoat de laine. Vous devriez savoir qu'il descend de Santa Claus, du néerlandais Sinter Klaas, notre bon saint Nicolas. Les colons hollandais, fondateurs de New Amsterdam, rebaptisée plus tard New York comme vous savez, l'introduisirent en Amérique au début du XVIIème. Il mua en Père Noël, Papa Noël ou Bonhomme Noël au XIXème siècle. Mais mademoiselle a raison. Au début, de ce côté de l'Atlantique ou de l'autre, il n'avait pas ce grand manteau rouge.

- Mais alors, questionne la jeune fille, que lui est-il arrivé ?

- Eugène Roulebosse qui avait commencé son explication, reprend. Vers 1850, un dessinateur, John Tenniel, le représenta sous les traits d'un joyeux petit bonhomme à barbe blanche. Ce n'est que dix ans plus tard que Thomas Nast, illustrateur d'un magazine new-yorkais, l'habilla d'un costume rouge.

- Et en France ?

- Chez nous, une folkloriste réputé appelé Van Gennep, relevait déjà la présence d'un Père Noël en 1880. Il n'avait pas de manteau rouge, mais un froc de franciscain, un bonnet, de bottes et un panier pour les cadeaux. Certes, au cours de la Première Guerre Mondiale, les troupes américaines débarquèrent en France avec leur Père Noël, mais sans réussir à l'imposer. Leur bonhomme Noël trouvera un second souffle quand en 1931, Coca-Cola l'utilisa pour sa publicité.

- Mais cela faisait des années qu'on le connaissait déjà !

- Bien remarqué mademoiselle. Et il n'en finira pas de changer.

- Il va suivre la mode ?

- On pourrait dire ça ! Le Santa Claus Américain va prendre du ventre, ajouter une large ceinture à un manteau sérieusement raccourci, un pantalon rouge, un bonnet pointu à clochette et… un sourire farceur ! Chez nous, il arbore une allure à la fois sérieuse, rassurante, adopte une longue houppelande à capuche bordée de fourrure et une barbe blanche. Le ventre plat, il porte une énorme hotte chargée de cadeaux. Mais j'ai bien peur que l'influence américaine finisse par nous le  métamorphoser petit à petit.

Tout à coup, ils sont interrompus par la plainte agressive d'une sirène. Bien vite, l'inquiétude envahie la place de la Libération. Les hurlements des voitures de police résonnent dans la rue de la Liberté, tentant de se frayer un passage entre automobiles bloquées et badauds s'écartant prudemment des lieux. Plus personne ne prend garde au père Noël qui d'ailleurs, sans doute vexé, disparait derrière une cheminée.

Eugène s'interroge :

- Que se passe-t-il ? On dirait que la police se regroupe derrière la mairie. Allons voir.

Non sans difficultés, il contourne le palais des Ducs par la place de la Sainte-Chapelle, mais se retrouve bientôt bloqué par les forces de l'ordre. Il a beau questionner, impossible d'en savoir plus. Il devra attendre, comme les autres dijonnais, le journal du lendemain qui titre :

Hold-up important hier soir au musée de Dijon. Profitant de la désactivation de plusieurs alarmes pour permettre au Père Noël de grimper sur le toit de l'hôtel de ville, une bande de malfaiteurs s'est emparé d'une série de tableaux de Redon, Manet et Pissarro. Toutefois, la rapidité d'intervention des forces de polices dont un grand nombre était déjà sur place pour la sécurité de la manifestation, a sans doute empêché les malfaiteurs de quitter le quartier. L'inspecteur Chenot, chargé de l'affaire reste persuadé que les œuvres sont cachées à proximité.

- Tiens, l'article est signé de la petite Claudine Nieuwsgieri. Elle fait son chemin habilement. Ça fait un moment que je n'ai pas eu de ses nouvelles.

Eugène ignore que la jeune journaliste ne va pas tarder à sonner à sa porte !

André Beuchot

 

Episode 3  - 16 décembre.

Vendredi 26 décembre 1958. Maître Roulebosse décore son sapin.

Un suspect est arrêté. Claudine Nieuwsgieri enquête.

Eugène Roulebosse accrocha une dernière boule dans le sapin qui trônait au milieu de la pièce, répandant une agréable odeur de résine. La guirlande électrique toute neuve, grande nouveauté de l'année, égaye le conifère d'une multitude de points lumineux tout en évitant les risques d'incendie des traditionnelles bougies. Il admire le résultat.

- Bien… Je n'allais quand même pas mettre des hosties et de vraies pommes comme au XVIIe ! Bonne idée que celle de ce souffleur de verre de Goetzenbruck qui imagina ces boules en verre en guise de pommes. Et dire que personne ne se souvient de la tentation d'Ève, de la consommation du fruit défendu ! Le sapin, l'arbre du Paradis, garni de pommes rouges ! Ah, ah ! On se garde bien d'expliquer ça aux gamins. Bien ! Il me reste à mettre quelque chose sur la cime. Une étoile de Noël, symbole de l'étoile suivie par les rois mages des Chrétiens ou une boule surmontée d'une pointe comme le font maintenant les laïques ?

Le coup de sonnette le tira de sa rêverie. Il entrouvrit la fenêtre et aperçut la jeune journaliste, Claudine Nieuwsgieri, emmitouflée jusqu'aux oreilles faisant les cent pas devant sa maison. Il activa l'ouvre porte et s'avança pour l'accueillir.

- Bonjour mademoiselle Nieuwsgieri. Entrez-vite au chaud. Installez-vous. Que me vaut l'honneur de votre visite ? Voulez-vous quelques cerises à l'eau-de-vie pour vous réchauffer ?

Tout en acceptant avec gourmandise, la pétillante rousse retira son manteau, sa toque en fourrure, sortit un calepin et attaqua.

- Et bien voilà. Vous êtes au courant du vol de tableaux au musée ?

- Oui, bien sûr. J'ai lu vos articles. Une belle opération astucieusement menée en profitant des alarmes désactivées et de la foule qui encombrait les rues. De quoi se mêler à tout ce monde sans être remarqué.

- En effet. Mais les œuvres dérobées sont de belles tailles et toujours sur leurs châssis. Un homme traversant la ville avec des paquets aussi encombrants sous le bras aurait été rapidement remarqué. C'est pourquoi l'inspecteur Chenot pense qu'elles sont toujours dans le quartier et a mis un bon paquet de policiers en civil en surveillance. Sans résultat pour l'instant…, enfin…

- Enfin quoi ?

- Un homme porteur de trois tableaux de Pissarro a été arrêté, puis relâché. Ce n'était que des copies grossières qu'il devait livrer à Champdotre, à Venarey et à Saulx-le-Duc.

- Par acquis de conscience, je suis allé voir sur place, Mais quel chantier pour se faire renseigner à Champdotre ! Ils étaient tous occupés à discuter pour savoir s'ils perpétuaient ou non la tradition de Noël. Si oui, ils devaient trouver deux fillettes qui acceptent d'être habillées en communiantes, suivies de deux autres en robe de mariée et couronnées de fleurs d'oranger. La première devra porter un pain béni couvert de mousse, de fleurs et éclairé par des bougies, la seconde se préparera pour le faire l'année suivante. J'avais déjà entendu parler d'une histoire voisine à Binges. Lors de la messe de Noël, une jeune fille était chargée de porter sur sa tête des brioches bénies par le prêtre et éclairées par des bougies.

- Je connais cette tradition, répond Eugène en souriant. Autrefois à Noël, les enfants de Champdotre tapaient aussi sur la bûche en criant : « chie bûche ! ». On soufflait alors brusquement les bougies. Quand on les rallumait, des friandises étaient miraculeusement apparues.

- Mais revenons à ce qui m'amène ici. Je suis rentrée bredouille également des deux autres cités, reprend Claudine.

- Et vous n'avez pas été embêtée par la préparation de Noël ?

- Non. Pourquoi, il existe des choses particulières là-bas aussi ?

- À ma connaissance, seulement une petite légende. Quasiment la même dans les deux bourgades. À Venarey-Les Laumes, le jour de Noël, la Vouivre du Mont Auxois descend se désaltérer dans le Lusiau. À Saulx-le-Duc, porteuse d'un diadème d'or orné d'une pierre précieuse, elle sort du flanc de la montagne pour aller elle aussi à la source de Fontenille. Mais restons-en à votre enquête.

- Et bien, les trois adresses n'existent pas !

- Voilà qui est effectivement curieux. La police a laissé filer notre livreur ?

- Elle n'avait pas de raison de le retenir, surtout avec de banales copies. Il parait que ça se vend bien pour Noël.

- Et qu'attendez-vous de moi ?

- Une idée. Vous avez plus d'imagination que moi. En début d'année, lors de l'affaire des faux billets, c'est vous qui avez  trouvé la solution.

- J'ai moi-même cherché une jolie copie pour décorer mon bureau. Un Manet ou un Pissarro justement. J'aime assez. Mais je n'ai dégoté que des toiles minables ne respectant guère ces grands noms de la peinture. Ma chère Claudine, je vais réfléchir à ce problème. Qui sait, si je retrouve le lot, le musée m'offrira peut-être un des tableaux par en récompense !

Ils éclatent de rire ensemble. Eugène ne sait pas encore que son vœux pourrait se réaliser… enfin… presque !

André Beuchot

 

Episode 4 - 23 décembre

Samedi 27 décembre 1958. Petite bûches et perquisitions.

Bien emmitouflé dans son long manteau de laine, Eugène Roulbosse pénétra vivement dans la petite pâtisserie boulangerie marquant l'angle de la rue du Prieuré.

- Brrr, quel froid de canard ce matin ! Dites-moi, il vous reste deux de vos délicieuses petites bûches ?

- Oui. Vous avez de la chance. Noël est passé mais mon mari en a fait encore quelques-unes.

- Rien de plus normal. Autrefois en Côte-d'Or, on faisait parfois durer la bûche jusqu'à l'Epiphanie.

- Vous n'avez qu'à moitié raison. Autrefois, comme vous dites, la bûche de Noël n'avait rien d'un gâteau à la crème au beurre.

- Je sais. C'était une véritable pièce de bois placée dans le foyer la nuit venue, du bon chêne en Auxois, du charme en Morvan. Une bûche rentrée cérémonieusement dans la maison le troisième dimanche de l'Avent.

- Hélas, une tradition disparue avec nos poêles et le chauffage central. En plus, bien des mères de famille font elles même des bûches en roulant une plaque de génoise enduite de confiture. Une couche de crème de marrons rayée à la fourchette pour lui donner l'aspect du bois et le tour est joué. Rien à voir avec notre crème au beurre. Mais tenez, voici vos deux gâteries.

Eugène Roulbosse quitte la boutique, saute dans le tram et gagne le centre-ville, sa boite à gâteaux à la main. Place du Théâtre, il abandonne le wagon glacial et vibrant pour rejoindre la brasserie de la rue Lamonnoye. Calée contre une vitre pour observer l'extérieur tout en sirotant un café, Claudine Nieuwsgieri l'accueille avec un sourire.

- Quoi de neuf mademoiselle Nieuwsgieri ?

- Pas grand-chose. Toujours ces policiers en civil. Vous les voyez ? Le balayeur qui ne balaye rien et l'homme au chapeau qui va d'un bout à l'autre de la rue.

- Je les ai remarqués également. Mais quel bazar dans cette rue. Il faudra bien qu'un jour ou l'autre, ils ouvrent la jonction avec la rue Jean-Jacques. Tenez, j'ai apporté des petites bûches pour accompagner le café.

- Excellente idée. J'espère que vous les avez fait bénir à l'église avant Noël, répond en riant la journaliste. Ça se faisait en Bourgogne autrefois. Chez nous, mon père la bénissait à son tour avec du vin en dessinant le signe de croix. Enfin, la vraie bûche. Celle qu'on mettait dans la cheminée avant de partir pour la messe de minuit. Et c’était un présage de mauvais augure si par malheur, elle s'éteignait pendant ce temps-là.

- Vous avez peut-être aussi connue la tradition des vignerons de la Côte, reprend Eugène. Le soir du 24 décembre, le père de famille chantait des "noëls" avec femme et enfants. Puis il conviait les gamins à aller prier Dieu dans quelque recoin de la maison, le temps de laisser la suche "pisser" des bonbons. Evidemment, on en profitait pour disperser à chaque extrémité des friandises que les enfants couraient ramasser, persuadés que la suche les avait "pissés" et…

- Regardez, l'interrompt Claudine. Un gars avec un grand paquet sous le bras. Peut-être des tableaux emballés.

Elle n'a pas fini sa phrase qu'un des deux policiers se jette sur lui. L'homme tente de s'enfuir, pour tomber dans les bras du pseudo balayeur. Le gaillard menotté, un des brillants représentants des forces de l'ordre se précipite dans la brasserie, saisit le téléphone et appelle le "panier à salade".

- Voilà une affaire rondement menée, souligne Claudine Nieuwsgieri. Je vais les suivre et tâcher d'avoir des informations. Je vous rappelle aussitôt.

 

Aussitôt, aussitôt…! Il était plus de 19 h quand le téléphone sonna.

- Allo, maître Roulebosse ? C'est Claudine. C'était encore des copies de Manet de Pissarro que notre homme, déjà connu pour des trafics, devait livrer. Encore des copies des œuvres volées ! Mais chose curieuse, le commanditaire qui lui confia le colis, un homme qu'il ne connaissait pas, lui avait donné rendez-vous dans le jardin de l'hôtel de ville.

- Vraiment étrange. Une sorte de cloisonnement. Pour la livraison de simples copies !

- Dernier détails. L'inspecteur Chenot le cuisina, faisant mine de ne pas vouloir le relâcher. Pour quitter les lieux au plus vite, il avoua avoir entendu parler des tableaux volés et surtout, affirma qu'il en resterait toujours à Dijon, planqués dans une des galeries de peintures du quartier. Chenot a aussitôt décidé de toutes les perquisitionner. C'est pour cela que j'ai été bloquée au commissariat, pour que je n'ébruite pas l'opération. Un sacré remue-ménage pour rien, car à part des copies des œuvres volées, devenues décidément très à la mode, rien de rien.

- Et dites-moi, vous avez les adresses où notre livreur devait porter les fameuses copies ?

- Evidemment ! Vous me connaissez ! Mais notre bonhomme rouspétait car il devait livrer impérativement cet après-midi entre 15 h et 16 h.

- Les délais sont largement dépassés pour prendre sa place et je suis bloqué cette fin de semaine. Si vous êtes d'accord, on se monte une expédition de reconnaissance le 30 décembre. Peut-être trouverons-nous sur place une piste sérieuse.

André Beuchot

 


 

 

Retrouvez Eugène Roulbosse dans le livre "Cerises à l'eau-de-vie et faux billets", les événements, légendes et traditions de Noël en Côte-d'Or dans  le livre : "Noël et Jour de l'An en Côte-d'Or". Lire