Info+ :
Dans le prolongement de cette table ronde, Magna Vox continue de mettre la lumière sur les femmes agricultrices et lance le podcast "EnracinéE".
Plongez dans le quotidien de Marilyn, Florence, Chisa, Roseline, Natacha, Angèle, Bénédicte et Sophie, filles héritières, néo-rurales, mères ou retraitées, et explorez avec elles les défis auxquels elles font face, notamment en termes de stéréotypes de genre.
Un épsiode chaque mardi jusqu'au 4 juin 2024
Reconnues puis oubliées, les femmes reprennent depuis quelques décennies leur place dans le paysage agricole et occupent aujourd’hui de plus en plus de postes à responsabilités. Pourtant, elles se heurtent encore à des difficultés liées en grand partie aux stéréotypes de genre. Quatre femmes engagées, spécialistes et professionnelles du secteur témoignent, dressent un bilan de situation et explorent les efforts à faire pour garantir l’égalité des chances et la reconnaissance professionnelle.
Dans le cadre du Mois de l’Egalité, en collaboration avec la Ville de Dijon et la Chambre d’agriculture de Côte-d’Or, l’association Magna Vox a invité, vendredi 29 mars 2024, Véronique Laville, élue de la Chambre d'Agriculture de Côte-d'Or, Présidente du service Environnement et agricultrice, Béatrice Chevallereau, directrice de l’EPLEFPA (Etablissement Public Local d'Enseignement et de Formation Professionnelle Agricoles) Dijon-Quetigny, Eve Recotillet doctorante à l’EHESS (Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales) et autrice de la thèse "Engagements et revendications des paysannes en France de 1938 à 1980" et Roseline Araujo, éleveuse ovins et bovins en Côte-d’Or à échanger sur le passé, le présent, et le futur de ces femmes exploitantes, dans un monde agricole qui est toujours « dans le cru, un monde d’hommes ».
De la reconnaissance à l’invisibilisation
Les femmes ont joué un rôle fondamental dans les champs durant les deux guerres mondiales en remplaçant les hommes partis au front. Elles ont été appelées à se mobiliser et reconnues pour leur engagement, leur participation à l’effort de guerre. Puis elles ont été effacées, invisibilisées dès la fin du conflit. « Le processus de modernisation dès 1946, les lois productivistes puis les lois d’orientation dès 1960 mettent en valeur l’idéologie de l’exploitation familiale, qui joue sur la répartition des rôles genrés. Les femmes sont gardiennes du foyer. Elles travaillent aussi sur l’exploitation, mais plus tard dans leur vie et sont très peu payées » explique Eve Recotillet. « Les femmes ont commencé à se considérer comme femme de, et plus comme actrices principales sur les exploitations ». Il faudra attendre les années 80 et l’évolution des statuts, de la législation, pour que les femmes retrouvent petit à petit une place.1
Redoubler d’efforts pour prendre sa place
« Aujourd’hui, 1/4 des exploitantes agricoles en Côte-d’Or sont des femmes. On s’aperçoit que 27% des installations sont féminines, soit en exploitation à temps plein, soit en co-gérance » précise Véronique Laville. « Elles ont de plus en plus de responsabilités, et leur part ne cesse d’augmenter dans les instances professionnelles ».
Si les mentalités ont évolué, les femmes agricultrices se heurtent toujours aux problématiques sociétales liées au sexisme. Dès la formation, si elles en suivent, on observe encore des phénomènes de rejet, « un système de castes » explique Béatrice Chevallereau. Les garçons des catégories dépréciées ne sont pas épargnés, mais « les jeunes filles qui ne sont pas du milieu sont considérées comme moins que rien ».
Leur installation peut aussi s’avérer difficile si elle se fait seule, sans conjoint ou père agriculteurs : « un exploitant qui part en retraite va remettre plus facilement ses terres à un exploitant déjà en place, ou un fils d’exploitant » explique Roseline Araujo. « Ils sont inquiets financièrement et se demandent comment une femme va faire face aux difficultés physiques du métier ». Une fois installées, les femmes agricultrices doivent encore redoubler d’efforts pour être entendues, et reconnues par leurs pairs masculins : « pour y arriver dans ce monde agricole, les femmes doivent faire leurs preuves, être meilleures, montrer qu’elles ont les compétences et le savoir en travaillant leur dossier d’autant plus » souligne Véronique Laville. « On est toujours sous surveillance » ajoute Roseline Araujo, « même si la technique, les résultats sur le terrain, le rendement finissent par payer ».
Aux efforts professionnels s’ajoutent les contraintes liées à la vie familiale, dont elles restent garantes. « Etre une femme agricultrice et mère, cela veut dire tout planifier, du lever au coucher » reconnait l’éleveuse. « On apprend à porter son bébé en écharpe, dans le dos, pour pouvoir faire téter les agneaux en même temps ». Si elles trouvent des moyens pour assurer toutes leurs missions, l’aide de l’entourage reste indispensable : « seule c’est impossible ».
Et demain ?
Pour permettre aux femmes de se lancer dans l’agriculture avec toujours plus de confiance et moins d’obstacles, la sensibilisation de l’ensemble de la population à dépasser les stéréotypes est essentielle. Kildine Bataille, adjointe au maire de Dijon déléguée à la petite enfance, à l’égalité femmes-hommes, et à la lutte contre les violences faites aux femmes, estime qu’il serait profitable d’intervenir auprès des enfants, dès la fin de l’école primaire, au collège et au lycée (soit à des moments clés de l’orientation). « A l’image de ce que l’on a déjà fait dans le cadre du programme « Génération Dijon », on pourrait imaginer travailler sur la création d’affiches par exemple, représentant ce que les enfants imaginent des métiers dit masculins et féminins. On reconnait ainsi la réalité du monde, ses problématiques, ses violences puis on réfléchit ensemble, on agit pour l’améliorer ». Roseline Araujo aimerait que des femmes « à la tête de grosses exploitations qui ont des chiffres économiques qui parlent » soient invitées pour donner l’exemple et inspirer.
Véronique Laville estime qu’il faut viser l’objectif de l’agricultrice au même niveau que l’agriculteur dans tous les domaines en expliquant aussi que la mixité de genre professionnelle est essentielle : « les femmes font un travail de fond sur les dossiers, elles peuvent apporter une complémentarité de connaissances. Elles sont plus vite alarmistes mais face aux difficultés elles trouvent les solutions et rebondissent plus vite ».
« Les combats d’hier sont ceux d’aujourd’hui et de demain » reconnait Eve Recotillet, et c’est en unissant les forces de chacune et chacun, en partageant les tâches de la vie personnelle et professionnelle, que l’on agit collectivement plus largement en faveur d’une société plus égalitaire et juste.
Déborah Vital
1 1985 : création du statut EARL autorisant les époux à être les seuls associés.
1999 : loi d'orientation agricole : statut de conjoint collaborateur, meilleure reconnaissance et milleure protextion sociale
2005 : accès au statut de conjoint collaborateur sans autorisation du chef d'exploitation et extension aux personnes pacsées