Rattrapés par l’actualité nationale, les débats ont tourné autour des coupes budgétaires envisagées pour les collectivités par le gouvernement Barnier. La Présidente de la Région Bourgogne Franche-Comté a fait part de ses craintes quant aux conséquences pour les services publics.
« Abyme, falaise, gouffre … L’effort qui nous est demandé est scandaleux. » Marie-Guite Dufay ne décolère pas. Les coupes budgétaires, annoncées par le premier ministre dans sa loi de finances, ne passent pas. Les collectivités territoriales sont appelées à hauteur de 5 milliards d’euros à l’effort de désendettement de la France. Pour le seul Conseil Régional, c’est un effort de 68 millions d’euros qui est demandé. C’est trop : « Les collectivités comptent pour 8 % de la dette publique. On nous demande de contribuer à hauteur de 16 % du plan d’économies proposé par l’Etat. Nous sommes prêts à participer à l’effort, mais cela ne doit en aucun cas dépasser la part des collectivités locales dans la dette publique française : c’est un principe de justice, tout simplement ! » martèle la Présidente de Région.
Discours de Marie-Guite DUFAY Présidente de la Région Bourgogne Franche-Comté
Assemblée plénière du 17 octobre 2024
Le Contexte politique
Le contexte politique de cette assemblée est très singulier, car nous nous retrouvons au moment où débute l’examen du tant attendu Projet de Loi de Finances, et son impact sur les finances locales est tel qu’il constituera l’essentiel de cette intervention liminaire.
En juillet dernier, nous nous sommes quittés dans un contexte politique national inédit : une dissolution et des élections législatives qui ont abouti à une assemblée nationale sans majorité claire, mais où plusieurs forces politiques pouvaient se considérer légitimes pour gouverner le pays. Il aura fallu deux mois au Président de la République pour choisir un nouveau Premier Ministre ! Une période pendant laquelle tout a été fait pour éviter de nommer une personnalité issue du Nouveau Front Populaire, coalition politique pourtant arrivée en tête de ces élections.
Au final, c’est Michel Barnier qui a été choisi, et si je ne conteste pas l’expérience, la volonté d’apaiser et le volontarisme du nouveau Premier Ministre, je ne peux m’empêcher de m’interroger sur la cohérence entre ce choix et des résultats électoraux construits grâce à un vigoureux front républicain auquel ni Michel Barnier, ni les Républicains n’ont participé.
C’est donc une nouvelle majorité relative qui gouverne notre pays, faite de l’ancien bloc présidentiel et des Républicains, et qui doit, pour le moment, son existence à la seule bienveillance du Rassemblement National… C’est là aussi pour le moins une curiosité après le front républicain, mais nous en prenons acte.
Ce nouveau gouvernement arrive dans un environnement particulièrement complexe et dégradé, avec une dette publique de la France qui est naturellement au coeur des préoccupations et des débats de cette rentrée, puisque depuis 2017, celle-ci a été creusée de plus de 1 000 milliards dont 100 milliards rien que pour les premiers mois de l’année 2024 ! Les analyses sur la mécanique du véritable glissement hors de contrôle de cette année sont édifiantes, entre mauvaises prévisions du gouvernement sur les recettes (et en particulier la TVA qui nous impacte par ailleurs durement), et plus encore une incapacité à agir par la suite pour remettre le budget sur de bons rails, due à la fois à un Premier Ministre doublement retiré des affaires de l’Etat en tant que directeur de campagne pour les européennes et les législatives, et une pause olympique, certes particulièrement réussie pour notre pays, mais qui a peut-être trop été vécue comme une parenthèse enchantée au sommet de l’Etat…
Loi de finances : freinage des dépenses publiques
Un effort de 6,3 milliards d’euros au niveau local
Ainsi, une fois la flamme définitivement éteinte et le gouvernement en place, c’est un violent retour à la réalité qui s’est imposé, avec un projet de loi de finances qui s’inscrit inévitablement dans une logique de freinage des dépenses publiques de notre pays, qui est d’une brutalité inouïe, inédite et avec par ailleurs un recours bien timide aux leviers de recettes, très loin d’une réelle logique de justice fiscale.
Et dans ce projet de loi de finances, l’effort qui est demandé aux collectivités locales est colossal et d’une brutalité scandaleuse. Ceci dit, ne vous trompez pas, je ne suis pas opposée à ce que les collectivités locales prennent leur part à un effort de redressement des comptes de notre pays, quand bien même ne soient-elles pas, à mon sens, responsables du dérapage de ces dernières années ; je n’y suis pas opposée certes, mais pour peu que l’effort demandé soit juste. Et force est de reconnaître qu’en l’espèce, il n’est pas juste cet effort, on est très loin du compte.
Alors je veux dans un premier temps rappeler quelques réalités sur les collectivités locales, réalités souvent fortement malmenées par l’ancien ministre des Finances, tout occupé qu’il était à trouver un bouc émissaire…
Lorsque les collectivités locales ont recours à la dette, c’est uniquement pour financer de l’investissement. Si leurs dotations n’avaient pas continuellement baissé au cours des années passées, si elles avaient conservé leur autonomie fiscale – notamment les Régions –, elles auraient mécaniquement moins emprunté pour financer les projets essentiels à la modernisation de leurs territoires. Mais la recentralisation rampante de l’Etat ne l’a pas permis.
Les collectivités locales c’est 70% des investissements publics qui sont réalisés dans notre pays ! Moins de moyens pour les collectivités locales, c’est mécaniquement moins d’investissements, c’est aussi moins d’activités pour nos entreprises, et c’est surtout moins d’emplois sur notre territoire. Prenons bien la mesure de cette réalité.
Et malgré cet engagement, la dette des collectivités locales pèse finalement peu, puisqu’elle ne représente que 8% de la dette publique quand l’État en porte 80%.
Ayant ces chiffres bien en tête, on ne peut donc que trouver profondément injuste le projet du gouvernement, qui demande aux collectivités locales de participer à hauteur de 5 milliards d’euros à son plan d’économie de 40 milliards, auquel il faut ajouter 1,3 milliard d’effort en hausse de cotisations employeur pour résorber le déficit de la caisse de retraite de la fonction publique locale.
Au final, c’est donc un effort de 6,3 milliards d’euros qu’il faut réaliser au niveau local, c’est une participation non pas de 8 % puisque je vous ai dit que le déficit avec toutes les définitions que je vous ai données, est de 8%. Mais non, ce qui nous est demandé c’est 16%. C’est le double de la part des collectivités locales dans la dette publique, et c’est bien cela qui est profondément inacceptable. Nous sommes prêts à participer à l’effort de réduction de la dépense publique, mais cela ne doit en aucun cas dépasser la part des collectivités locales dans la dette : c’est un principe de justice, tout simplement !
L'effort régional
Pour notre Région, la traduction de tout cela parle d’elle-même :
- Le gel de la dynamique de la TVA, qui, cumulé au manque à gagner lié aux prévisions erratiques de Bercy cette année amène un déficit de 33 millions d’euros par rapport à nos prévisions.
- La ponction de 2% sur nos recettes de fonctionnement coûtera 27 millions d’euros à la Région.
Ces deux premiers axes représentent déjà 60 millions d’euros de perte pour notre Région. Alors que nous votons aujourd’hui les 58 millions d’euros de dotation de fonctionnement des 128 lycées publics de Bourgogne-Franche-Comté pour 2025, cela vous donne une idée de l’ordre de grandeur de l’effort demandé ! À ces mesures principales, il faut ajouter plus de 5 millions d’euros liés à la baisse d’autres dotations, et la hausse de la cotisation employeur. Ce qui nous amène à un total de 68 millions d’euros d’économies à trouver.
Abîme, falaise ou gouffre !!! Si rien ne devait changer à cette orientation, c’est notre capacité à agir auprès de nos concitoyens, auprès des collectivités locales et auprès des acteurs économiques qui s’en trouverait durement compromise. Nous nous sommes donc mis en situation de combat, afin de faire porter dans le débat parlementaire des amendements corrigeant les injonctions gouvernementales.
Et pour nous, c’est donc tout le travail déjà réalisé pour construire le Budget 2025 qui est à reprendre… Cela se traduira par un décalage du calendrier budgétaire que nous avions porté à votre connaissance.
Il nous faudra néanmoins prendre à bras le corps cette nouvelle donne budgétaire. Ce ne sera pas simple, car beaucoup de nos dépenses sont contraintes, et relèvent du bon exercice de nos compétences… D’autres dépenses sont volontaristes, et participent activement à l’attractivité et au développement de nos territoires. Je veux, en ce moment particulier, ébaucher quelques questionnements, sans y répondre à ce stade, mais qui illustrent ce que pourraient être pour notre collectivité les conséquences d’une telle baisse de recette et les questions qui ne manqueront pas de se poser dans les mois à venir :
Sur nos grandes compétences :
- Les mobilités, où nous avons bien fait d’anticiper en renégociant notre convention TER en 2022, avec une économie annuelle de 30 millions d’euros qui nous est bien utile aujourd’hui… C’est un de nos plus gros poste budgétaire, qui concerne les déplacements du quotidien… Alors que les transports collectifs sont un pilier majeur de la transition énergétique et qu’on nous demande toujours plus d’offre, faudra-t-il la réduire ? Alors que la saturation de certaines lignes doit nous conduire à investir à nouveau dans du matériel roulant pour accroître nos capacités, faudra-t-il y renoncer ?
-Les lycées, pour lesquels nous abondons fortement les dotations de fonctionnement pour 2025 lors de cette assemblée… Mais malgré notre attachement à cette compétence majeure de la Région, faudra-t-il par exemple réduire leur rythme de modernisation en nous limitant aux investissements strictement nécessaires dans une logique de maintenance et de sécurité ?
- Les transports scolaires : devons-nous, comme cela se fait dans la plupart des Régions aujourd’hui, demander une contribution aux familles pour le fonctionnement de ce service ?
- Les formations sanitaires et sociales, quand on connaît le fort besoin en personnel de ces secteurs, et la nécessité de renforcer l’attractivité de ces métiers, faudra-t-il réduire notre ambition dans ce domaine ?
- Le développement économique, alors que notre action amène des résultats, avec des implantations d’entreprises, de la diversification et de belles innovations sur le territoire ; alors que nous vous proposons aujourd’hui même une nouvelle action en matière de biothérapies, et que l’effort de réindustrialisation de notre pays est essentiel, faut-il vraiment associer ce secteur à l’effort ? Fini ? On arrête ?
- L’agriculture, dont chacun connaît les difficultés et l’importance de contribuer au renouvellement des générations, à l’adaptation des exploitations ou au soutien à nos filières régionales. Faudra-t-il revenir sur nos actions volontaristes, hors contreparties liées au FEADER, équivalent à une vingtaine de millions d’euros supplémentaires ?
-Les ressources humaines de la collectivité, alors que certains reprochent à la Région de ne pas aller assez vite, est-ce le bon moment pour réduire nos capacités à produire et instruire des politiques publiques ?
Sur d’autres actions volontaristes :
- L’aménagement du territoire, alors que l’échelon communal est le moins touché par les efforts demandés par l’État, devrons-nous réduire nos actions en direction des communes ? Devrons-nous renoncer à intervenir dans le domaine de la santé qui est hors compétence ?
- L’enseignement supérieur et la recherche, qui participent aussi bien au rayonnement qu’à la capacité à innover dans notre région ; devrons-nous amoindrir nos soutiens aux équipes de recherche ?
- L’attractivité, dont nous venons de lancer notre volet résidentiel avec en particulier un fort satisfecit des acteurs économiques. On continue ? On abandonne ?
- L’action internationale de notre collectivité, que ce soit pour promouvoir notre territoire, nos acteurs économiques et nos filières ou par notre soutien aux acteurs de la solidarité internationale de notre Région. Devons-nous nous refermer sur nous-même ?
- Les associations d’aide à domicile, les associations d’insertion par l’activité économique, hors de nos compétences, mais créatrice d’emplois et au coeur de préoccupations majeures : l’accompagnement des personnes fragiles, des personnes âgées, de la précarité … Faudra-t-il abandonner ce soutien ?
Vous voyez bien l’extrême difficulté de l’exercice auquel il nous faudra faire face, et je pourrais évoquer bien d’autres domaines avec des actions qui contribuent fortement à la qualité de vie sur nos territoires.
Et puis je veux terminer ce panorama par l’enjeu prioritaire de nos politiques publiques : la transition écologique et énergétique. Pour moi, tout ce qui contribue à ce secteur ne peut pas être sacrifié sur l’autel de l’austérité budgétaire ! La COP territoriale doit se conclure par des arbitrages déterminants pour favoriser en particulier des modalités de développement de nos activités plus sobres en énergie, et des moyens publics seront indispensables pour tenir cet objectif.
Il y a donc trois lignes rouges pour moi, trois secteurs que je veux absolument sanctuariser :
- La transition écologique, avec Effilogis, phare de notre engagement dans la transition énergétique avec deux cibles : les communes qui rénovent leur patrimoine et les bailleurs sociaux. La biodiversité également, pour laquelle les alertes des scientifiques se multiplient…
- Ensuite la formation professionnelle, car c’est un des coeurs de métiers de notre collectivité, et c’est une politique sociale essentielle qui vise justement à redonner un avenir à celles et ceux qui sont les plus éloignés de l’emploi.
-Enfin, La culture et le sport, car j’ai la conviction que dans les périodes complexes, tout ce qui peut nous rassembler et porter des valeurs fortes doit être préservé. La culture et le sport c’est du mieux vivre pour nos territoires, et ce sont pour moi des actions à sanctuariser dans notre futur budget.
Nous reviendrons sur tout cela lors de notre débat d’orientation budgétaire, et bien sûr, lors du vote de notre budget pour 2025, mais d’ici là, je n’oublie pas le combat qui doit être mené au parlement pour que soit mieux reconnu le fait local et l’action des collectivités dans notre pays et que leur contribution à l’effort de réduction de la dette soit ramenée à un niveau plus rationnel.
Je pense également qu’il serait enfin temps de se pencher avec le plus grand sérieux sur ce qui dysfonctionne dans la mécanique institutionnelle de la décentralisation. Outre l’autonomie budgétaire et fiscale des collectivités que j’ai déjà souvent évoquée à cette tribune, je suis convaincue à l’instar, de plusieurs collègues présidents de Région, qu’il faut se pencher avec méthode sur les
doublons d’interventions entre l’État et la Région, que ce soit sur l’accompagnement des entreprises, l’orientation des jeunes ou les actions contribuant à la décarbonation de notre société.
Enfin, avant de vous céder la parole, je veux m’arrêter sur la situation de la gestion des Fonds Européens FEADER. Nous en avons déjà beaucoup parlé, je ne reviendrai pas sur ce que j’ai déjà largement développé sur les conditions de ce transfert… Nous nous sommes donné les moyens de remplir cette mission, en renforçant largement nos équipes – mais l’Europe, c’est compliqué, et se former aux méandres des dispositifs qu’elle produit prend du temps…
En juillet dernier, je vous avais indiqué que nous priorisions fortement le traitement de la dotation jeunes agriculteurs : sur ce point, nous sommes au rendez-vous de nos engagements.
La situation reste plus complexe sur les aides à l’investissement dans le cadre du PCAE, même si les choses avancent, ce qui amène des interrogations, des frustrations et même de la colère chez les agriculteurs concernés, ce que je comprends parfaitement.
Nous travaillons dans une ambiance constructive – je veux le souligner - avec la profession et l’État pour solder les dossiers qui relèvent de la précédente programmation 2014-2020. À ce stade, nous maîtrisons l’instruction des dossiers en cours de traitement et nous nous mobilisons pour accueillir ceux qui ne nous sont pas encore parvenus. Nous sommes en discussion avec l’État et en lien avec l’ASP, l’organisme payeur, pour répartir nos efforts afin de tenir les délais de juin 2025 afin que tous les dossiers soient payés avant la date butoir de la fin de programmation.
Nous prolongeons par ailleurs notre fonds de solidarité avec les banques pour que les agriculteurs qui auraient à prolonger leurs prêts de court terme n’aient pas à supporter le paiement des intérêts.
Demain, je recevrai les organisations professionnelles qui seront présentes pour leur confirmer toutes les opérations qui sont en cours pour répondre à leurs demandes.
Puis l’assemblée a déroulé son ordre du jour.
Elle a notamment validé les dotations de fonctionnement de ses 128 lycées pour l’année 2025
ainsi que de la feuille de route sur les biothérapies et les bioproductions.
Lire l'article de la Région "Des coupes budgétaires qui passent mal"