Les légendes du diable

Les contes ci-dessous sont extraits des Légendes du Morvan et des Légendes et mystères du Morvan que vous pouvez vous procurer sur le site www.tempsimpossible.com

 

Biographie

Sandra Amani

Sandra Amani est une auteure bourguignonne, demeurant à Dijon. Née à Paris, elle a grandi dans le Morvan, à la Roche en Brenil. Elle a ainsi passé son enfance en compagnie d’un grand-père qui adorait l’emmener dans les forêts et lui conter les légendes des lieux par où ils passaient, des pierres mystérieuses, des châteaux en ruines. Cette magie ne l’a jamais quittée et aujourd’hui,elle fait perdurer le souvenir de cet homme en publiant de belles histoires.

Professeur de français, elle débuta sa carrière en écrivant des romans pour la jeunesse. Le premier s’intitulait Rendez-vous avec un fantôme. C’était en 2001. Deux autres ont suivi. Puis, en 2004, elle fut contactée par les Editions de l’Escargot savant, qui lui demandèrent d’écrire des légendes du Morvan. Ce fut le début d’une longue série de publications, ayant toutes pour thème les légendes et le mystère : Légendes du Morvan, Histoires extraordinaires de châteaux en Bourgogne, Légendes du vignoble, Mystères du Nivernais (De Borée), puis les Chemins du mystère et d’autres légendes du Morvan aux éditions Temps impossibles, son éditeur actuel.  Elle a également adapté certaines de ses légendes en livres pour enfants (Le Poron de l’étoile, le Poron des lutins) et scénarisé trois bandes dessinées (Légendes du Morvan, Légendes et mystères de Bourgogne et le Songe de Charlemagne, qui relate l’histoire de la basilique de Saulieu).
Ses livres sont disponibles dans toutes les librairies de Bourgogne ou sur commande.  
amani.sandra7@gmail.com
www.tempsimpossible.com


Sommaire

La Porte du Diable
La poule noire du Morvan
Les épaules du diable
La croix de l’homme mort


La Porte du Diable



Plombières-lès-Dijon

Sur la commune de Daix, à quelques kilomètres de Dijon, se trouve le lieu-dit de Champmoron.  Située au milieu de  bois touffus se trouve une ferme, où l’on peut voir des statues mutilées par le temps. Un peu plus bas, on remarque une porte très étrange, entourée de feuillages. Sur celle-ci est sculpté un bonnet phrygien, qui représente les armes de l’ancien propriétaire de la ferme.

En 1791, le domaine de Champmoron fut vendu comme bien national à Jean Bonnet. Son fils Adolphe en hérita en 1828. Diplomé de la faculté de droit, celui-ci décida de faire de ce domaine une immense exploitation agricole. « L’innocence des champs rend l’homme égal aux dieux », disait-il régulièrement à qui acceptait de l’écouter…

Parfois, il disparaissait durant de longs jours et personne ne savait ce qu’il advenait de lui pendant ce temps. Souvent, la nuit, des braconniers  le croisaient dans les bois du domaine : il semblait parler à d’invisibles personnages, marmonnant des prières ou peut-être des incantations…

  • Il va nous attirer les foudres du Diable, murmurait-on à travers la contrée…Ses pratiques ne sont pas des plus chrétiennes !

Un jour, après avoir récupéré des fragments d’édifices religieux ou féodaux, vestiges abandonnés depuis 1789, il fit construire la fameuse porte, qu’il orna du bonnet phrygien, symbole de son attachement à la Révolution. A partir de ce moment, on pensa que cette porte donnait sur l’enfer et l’on craignit de plus en plus la proximité de la ferme de Champmoron.

Adolphe décéda en 1873. On l’enterra dans son domaine, où les restes de son tombeau subsistent encore…

Le temps passa. Au XXe siècle, on vit apparaître un peu partout les sectes sataniques. Dans les années 80, cette porte devint lieu de rencontre. Des groupes de gens venaient y évoquer le diable ; on y concluait des pactes pour obtenir ce que l’on souhaitait le plus, l’amour de sa vie, la réussite aux examens, les chiffres du loto... Une légende racontait que les samedis de pleine lune, une mystérieuse dame blanche apparaissait et montrait aux curieux le chemin de l’enfer, en leur indiquant l’entrée de la porte. Le seul moyen d’échapper à la damnation était de sortir obligatoirement du côté par où l’on était entré. Certaines disparitions mystérieuses survenues dans les environs de Dijon, laissèrent penser que Satan, dissimulé non loin de la porte, guettait les imprudents, afin de les emporter avec lui au cœur de sa demeure ardente. Le fait seul de penser à cette porte glaçait le sang.

Pourtant, en 1996, par un beau matin de 15 août, ce lieu, soudain, changea de réputation. Une femme affirma y avoir vu la Sainte Vierge ! Grande, sublime, toute de blanc et de bleue vêtue, la belle dame annonça qu’elle était venue pour bénir l’endroit et sauver les âmes damnées qui s’y trouvaient prisonnières. A partir de ce moment, les croyants s’y rendirent en procession afin de prier pour tous ceux qui, trop faibles, s’étaient soumis au Malin, cédant à de trop futiles plaisirs. A minuit, des formes blanches s’élevaient du sol, accompagnée par des musiques harmonieuses et montaient jusqu’au ciel, heureuses de gagner enfin le paradis.

Aujourd’hui, cette porte garde encore jalousement ses mystères et inspire, tantôt une terreur sans nom, tantôt un vif enthousiasme religieux. L’ambiance étrange qui règne en ce lieu nous transporte vers d’autres époques et souvent même vers d’autres dimensions…

 

La poule noire du Morvan

Sandra AMANI La poule noire du Morvan

Jadis vivait à Vouchot, un hameau de Corancy situé au pied de Grosmont, une vilaine sorcière. Vieille et aigrie, elle avait la réputation de faire du mal à tous ceux qui osaient s’aventurer, la nuit, aux alentours de sa maison. Celle-ci possédait une poule noire qui, disait-on, pondait des écus d’or chaque vendredi 13 à minuit. Cela faisait rêver bon nombre de villageois, mais nul n’osait prendre le risque de lui voler l’animal, de peur d’être transformé en pierre ou, pire encore, de disparaître dans l’antre de Satan !

Pourtant, un soir, Robert, un pauvre berger qui passait la plupart de son temps à boire, décida qu’il tenterait de dérober l’incroyable volatile.

  • Elle ne me fait pas peur, la sorcière, se dit-il en ricanant. Et quand je lui aurai piqué sa poule, je serai l’homme le plus riche du monde !

Aussitôt dit, aussitôt fait. Dès que la nuit fut tombée, il se rendit sur le Grosmont qui n’était à cette époque qu’un tertre de pierres et se posta en face de la maison de la vieille. Bien dissimulé, il attendit le moment où elle irait se coucher. Lorsque plus une lumière n’éclaira la masure, le berger se glissa dans le jardin, trouva très vite le poulailler et, sans encombre, parvint à dérober la fameuse poule noire. Ensuite, l’oiseau sous son bras, il se dirigea vers la Gavarde, la rivière dont il devait franchir le gué pour être enfin en sécurité.

Soudain, il poussa un immense cri. Devant lui venait d’apparaître un homme gigantesque, muni d’une longue queue et portant sur sa tête deux horribles cornes…Au milieu de ces cornes se trouvait un coq…Le berger crut que le mauvais vin qu’il avait absorbé pour se donner du courage lui jouait quelque tour et qu’il était victime d’une affreuse hallucination. Mais sa terreur grandit lorsqu’il vit le coq ouvrir son bec et l’entendit prononcer ces mots :

  • Tu as volé, ma poule, coquin ! Si tu ne la ramènes pas au Grosmont avant minuit, ma vengeance sera terrible, crois-moi !
  • J’y retourne tout de suite, répondit, en tremblant, le pauvre Robert.

Joignant le geste à la parole, il fit demi-tour et repartit en direction de la bicoque. A ce moment, minuit sonna au clocher de l’église du village. Arrivé près de la maison, il frissonna d’épouvante car la sorcière se tenait sur le seuil.

  • Trop tard, berger ! Lui dit-elle en ricanant. C’est minuit à la lune ! Malheur à ceux qui touchent à ma poule noire !

Lorsqu’elle prononça ces mots, les rochers qui formaient la butte en face de la maison s’ouvrirent et le pauvre homme, lâchant la poule, tomba dans une immense excavation. Longtemps, ses cris retentirent au fond du gouffre, mais l’affreuse femme ne tenta rien pour le sauver. Au contraire, la maudite poule noire sur son épaule, elle riait à gorge déployée et se réjouissait de la détresse du voleur.

  • Vaurien ! Tu n’as pas fini de brûler en enfer ! C’est le sort que je réserve à ceux qui osent me défier ! Ha, ha, ha, ha ! Satan ! Viens accomplir ton ouvrage et dépêche-toi ! Tu es très attendu ! Ha, ha, ha, ha !

Le diable s’empressa d’obéir aux ordres de la sorcière et, sans plus attendre, il transforma la petite butte en un immense mont dont la hauteur atteignit 700 mètres. Le Grosmont était né…

Depuis ce jour, nul ne put le détruire. On voulut y entreprendre des travaux, mais toutes les tentatives demeurèrent vaines : durant la nuit, le mont se régénérait et reprenait son aspect originel. On ne doit jamais contrarier le démon ! Qu’on se le dise !

 

Les épaules du Diable

 

Un soir de printemps, le Diable qui errait depuis un long moment dans les sentiers du Morvan, frappa à la porte du paradis. Saint-Pierre sursauta quand il le vit, mais il le laissa quand même entrer.

            - Que viens-tu faire encore ici ? lui demanda-t-il en lui lançant un regard méchant. Tu sais que tu n'es pas le bienvenu et que Notre Seigneur t’a ordonné de ne plus jamais remettre les pieds dans Sa maison.

Satan, ignorant sa remarque, répondit :

            - Mêle-toi de ce qui te regarde et conduis-moi auprès de Lui ; c’est urgent.

            - Hum !... Je me demande bien ce que tu mijotes encore. Je vais prévenir Notre Seigneur mais je doute que ta présence ici le transporte de joie.

 Quelques minutes plus tard, Dieu, très en colère, se présenta devant Satan.

            - Espèce de malotrus ! hurla-t-il. Que viens-tu faire chez Moi ? Tu t'ennuies donc à ce point en Enfer ? Plus assez de criminels sur Terre pour occuper tes journées ?

Le Diable, ignorant l’ironie du propos, répondit calmement en baissant les yeux :

            - Tu n'as pas tout à fait tort. Rien n'est drôle là où tu m’as relégué. Je n’ai plus assez d’âmes pour m’amuser. À présent que tu pardonnes à tous les vauriens et que tu les accueilles au paradis, je me sens bien seul. Du coup, je viens te proposer de jouer avec moi.

            - Écoutez-moi cet idiot ! Bientôt je vais devoir le plaindre ! s'écria Dieu, levant les bras au ciel. Et puis, tu sais très bien que chaque fois que tu joues contre moi, tu perds… Mais vas-y, parle ! Quelle est donc cette nouvelle invention ?

            - Quoi ? Tu acceptes de parier contre moi ? ricana le Diable, fort surpris. Serais-tu devenu vénal, mon Seigneur ?

            - Je t’interdis de m’appeler ainsi, rétorqua son interlocuteur, furieux. Quel enjeu me proposes-tu ? Dépêche-toi car je n'ai pas que ça à faire !

Satan, rassuré, prit une profonde inspiration et exposa le plan qu'il avait minutieusement mis au point durant ces longs jours où il avait tenté de tromper son ennui.

            - Voilà, commença-t-il… Sur Terre se trouve un charmant village nommé La Roche-En-Brenil. Celui-ci se trouve au cœur d’un massif boisé que les hommes appellent le Morvan. Un vrai petit paradis, ajouta-t-il en éclatant de rire.

            - Cesse immédiatement de ricaner et expose ton plan. J’ai hâte que tu débarrasses le plancher.

Un ange passa auprès d’eux en chantonnant. Le Diable le gratifia d’une horrible grimace. L’ange, qui connaissait bien l'énergumène, l'ignora et poursuivit sa route.

            - Si tu ne parles pas maintenant, j’arrache tes cornes ! hurla Dieu, en frappant du pied.

            - Bon, bon… Calme-toi, dit Satan, tentant d'apaiser son courroux… Donc, poursuivit-il, dans ce petit bourg très sympathique se trouve une église, où je compte me rendre...

            - Pour prier ? l'interrompit Dieu, amusé. Grand bien t’en fasse. Mais tu attends quoi de moi, sachant qu'il est hors de question que je cautionne tes magouilles… D'ailleurs, sache que c'est la dernière fois que tu pénètres dans ma demeure.

Satan soupira.

            - Ne te fatigue pas. Je ne compte pas passer ma vie ici. On s’ennuie trop chez toi. Les anges ont des conversations soporifiques et les saints passent leur temps à clamer des inepties… Voici mon plan : demain, c'est la Fête-Dieu[1]. Les villageois vont se rendre à la grand-messe pour célébrer le corps et le sang de ton larbin. Sache que, le soir même, j'aimerais posséder toutes les âmes présentes dans l'église.

Il se frotta les mains, tant cette pensée l'emplissait de joie.

            - Rien que ça ? répliqua le Seigneur, médusé. Et tu crois que je vais te les apporter sur un plateau ? Je ne te savais pas très intelligent, mais là, je pense que tu délires complètement !

            - Loin de moi cette idée ! Tu ne me connais donc pas encore, Nom de Dieu ? Voilà… Je te propose de bloquer la porte de l’église au moyen d’un gros rocher, juste avant que la messe ne s’achève. Quand midi sonnera, tu me donneras toutes les âmes des fidèles enfermés dans l’église. D’accord ?

Dieu, qui connaissait bien la fourberie et la malice de celui qui se tenait devant Lui, hésita un instant. S'il refusait le pari, il perdrait la face devant ses fidèles, qui, sans doute, blâmeraient sa lâcheté. Il se résolut donc à accepter le dangereux pacte et se dit qu'il mettrait tout en œuvre pour contrer son ennemi.

            - Soit, annonça-t-il. Voici ce que je te propose. Si tu gagnes, tu emportes les âmes présentes dans l'église, mais si tu perds, je t'enferme en enfer et bloque toutes les portes. Tu n'en sortiras jamais plus, vermine !

            - Parfait. Tope là, fit le Diable enthousiaste. Je ne te bénis pas, mon Seigneur, mais le cœur y est, ricana-t-il.

            - Dégage manant ! Hors de ma vue à présent ! L'Enfer t'attend, ordonna Dieu, excédé.

Puis, dubitatif, Il se retira dans ses appartements en se demandant s'Il n'avait pas commis une grosse erreur en pactisant avec le Mal.

Très excité, Satan se dépêcha de descendre sur terre afin d’accomplir sa mission. Le pari lui paraissait difficile à tenir car le rocher devrait être immense pour réussir à bloquer la porte de l'église ; cependant, le jeu en valait la chandelle. Il se réjouissait déjà en songeant aux âmes qui rôtiraient le soir même dans les immenses foyers de l'enfer.

Il marcha toute la nuit à travers les épaisses forêts de feuillus, puis, à l'aube, arriva enfin dans le bois qui bordait le village de La Roche-En Brenil. Là, il se mit à la recherche du rocher désiré. Il erra un certain temps, indifférent aux senteurs sucrées des conifères qui poussaient çà et là. Il avançait d’un pas décidé, pressé d’atteindre son but. Les ronces égratignaient ses genoux rugueux. Il découvrit enfin un énorme caillou au détour d’un sentier. Celui-ci appartenait à un gros bloc de roches que l'on appelait "Poron Meurger"[2].  Dans la région, on prétendait que cet endroit aurait, au temps des Gaulois, abrité des cultes druidiques.

Pendant ce temps, les villageois priaient et chantaient des cantiques, ignorant le destin qui les attendait. À présent, ils se préparaient à recevoir la communion. Bientôt, la messe s’achèverait et chacun retournerait chez soi savourer le délicieux repas qui mijotait doucement sur les fourneaux en ce dimanche de Fête-Dieu.

Comme midi approchait, le Diable parvint péniblement à hisser sur ses épaules l’énorme rocher. Puis, ignorant les douleurs provoquées par le lourd fardeau, il prit la route du bourg, bien décidé à accomplir son noir dessein. Le cœur battant, Dieu l’observait, assis sur un nuage. Il regrettait amèrement d’avoir accepté le pacte. Si son ennemi en sortait vainqueur, Il serait ridiculisé ; plus personne ne lui accorderait de crédit et les églises, peu à peu, se verraient privées de leurs ouailles...

            Le roc calé sur son dos, Satan sortit du bois. Comme le soleil était déjà très haut, il suait à grosses gouttes et la chaleur ralentissait sa marche.       

            - Encore quelques kilomètres, pensa-t-il, et je parviendrai à mon but. Courage.

Il traversa le petit hameau des Teureaux de Mâche. Pour ne pas être vu, il emprunta le sentier qui passait derrière les maisons, en bordure de champ. Quelques temps plus tard, il vit le clocher se dresser devant lui. Les alentours étaient déserts. Des chants s’échappaient de l'église. Il grimpa sur le parvis et se prépara à déposer le funeste rocher contre la porte. Mais tandis qu'il se débarrassait de sa charge, les dernières notes du ite missa retentirent, ce qui signifiait que la messe s'achevait.

Il fulmina, en rage. Dieu, sur son nuage poussa un tel soupir de soulagement qu’il faillit déclencher une tempête.

Les fidèles sortirent de l'église, afin de regagner en toute hâte leur logis. Certains hurlaient, choqués par cette présence incongrue devant leur église. Il était en effet très rare que le Diable apparaisse aux humains en plein jour. Tandis que les gens s'enfuyaient, Lucifer propulsa le rocher de toutes ses forces contre la porte. Celle-ci se brisa sous son impact.

            - Vade retro Satanas ! s'écria le prêtre en le découvrant. Et que ce rocher ait disparu à mon retour sinon gare à toi !

Sa colère était immense. En effet, jamais encore le Diable n’avait eu l’audace de s’infiltrer ainsi dans la maison du Seigneur. Résigné, il se signa, avala en vitesse le reste du vin de messe, puis, bousculant l'intrus, il sortit en pestant. Tant pis, il ferait réparer la porte plus tard. De toute façon, il n'avait pas de temps à perdre car il était attendu au château pour le repas de midi. Comme tous les ans, le comte l'avait invité à déjeuner et, pour rien au monde, il n'aurait raté cette occasion.

Alors, resté seul sur le parvis, le Malin, furieux, ramassa le rocher, puis reprit le chemin des bois en s'efforçant de ne pas être vu. Peu de temps après, sur la route qui conduisait à Bouloy, il se débarrassa enfin de son fardeau, qu'il n'eut pas le courage de reposer sur le Poron Meurger . Un Rochelois[3] intrépide et quelque peu aviné suivit discrètement notre héros dans la forêt. Il attendit qu'il soit parti, puis s'approcha du rocher. On voyait nettement la trace des épaules de Satan sur la pierre. À partir de ce jour, ce rocher fut nommé "Les Épaules du diable". On peut encore l’observer aujourd’hui à l'endroit même où il a été déposé.

À ce moment, Dieu, délivré de son angoisse, se dressa sur son nuage, puis cria à son ennemi :

            - Repose-toi donc un peu avant de repartir ! La route va être longue jusqu’en Enfer !

            Honteux, Satan ne répondit pas. Désespéré, il escalada les marches du Poron Meurger et s’installa au sommet, sur un fauteuil en pierre appelé aujourd’hui « Fauteuil du Diable ». Il s’y reposa longuement et décida finalement d’en faire sa demeure.

            Peut-être trouverez-vous encore quelques traces de sa présence lors de votre promenade en ces lieux ou bien le croiserez-vous au détour d’un sentier… Dans ce cas, prenez garde car il est très, très en colère !


[1]Fête religieuse célébrée le deuxième dimanche après la Pentecôte.

[3]Habitant de La Roche-En-Brenil

 

 

 

La croix de l’homme mort

 

1909

Un homme, un étranger au pays, marchait seul, tête baissée, dans le bois des Battées, situé sur la commune de Lacour-d’Arcenay. C’était l’hiver…Un hiver rigoureux, comme il en existait uniquement dans le Morvan. Un vent glacial faisait hurler les sapins et frissonner les chênes centenaires. Les oiseaux s’étaient cloîtrés au fond de leur nid douillet et les bêtes des bois avaient déserté les sentiers. Quelques flocons commençaient à tomber et la neige, peu à peu, blanchissait le sol et faisait disparaître les sentiers.

Le voyageur solitaire songeait au silence de sa triste vie sans plaisir et sans amour. Il avait faim et froid. Saulieu était très loin encore…La nuit était tombée et bientôt, il ne verrait plus son chemin. En plus, une immense fatigue le gagnait et, sans argent, il n’avait plus qu’à mourir de froid…

Soudain, il surprit un bruit derrière lui. Il eut peur de se retrouver en face d’un sanglier ou, pire encore, d’un loup ? Mais il entendit un bruit de roue, suivi de hennissements. Se pourrait-il qu’à une heure aussi tardive, il ne soit pas seul dans la forêt ? En effet, peu de temps après, une calèche tirée par deux chevaux plus noirs encore que la nuit parvint à sa hauteur. La neige avait cessé de tomber et le ciel s’était dégagé. Un immense clair de lune éclairait à présent le bois.

La calèche s’arrêta. Soudain, une lueur étrange l’enveloppa, rougeâtre. Le voyageur trembla, mais aussitôt une voix qui se voulait rassurante, lui dit :

  • Bonhomme ! Viens donc faire un bout de chemin à mes côtés. Il fait froid dans cette forêt et je te conduirai où tu le souhaiteras.

 L’homme n’osa pas refuser car le ton employé paraissait sans réplique. Il monta donc et s’installa près du cocher. Il frissonna car il ne parvenait pas à distinguer le visage de son compagnon, dissimulé sous un large chapeau. Cela le mettait très mal à l’aise. Pourtant, il demeura à ses côtés.

Pendant un certain temps, ils n’échangèrent aucune parole.

  • Sais-tu que je peux te rendre très riche ? Demanda soudain le mystérieux cocher au voyageur.  Il te suffira juste de respecter à la lettre mes consignes.

Il arrêta la calèche, afin d’exposer plus clairement ses intentions. A ce moment-là, un immense coup de vent fit voler son chapeau. Le sang du voyageur se glaça car il venait de voir les deux cornes immondes qui ornaient sa tête.

  • Vous êtes le Malin ! Lui dit l’homme en tremblant…Vade retro Satanas !

Il voulut se signer, mais sa main ne put bouger, comme paralysée.

  • Ne sois pas stupide, ricana Satan. Je ne te veux aucun mal. Je vais d’ailleurs te laisser repartir car nous arrivons bientôt au village. Si tu veux être riche, reviens au même endroit, à la même heure dans une semaine exactement. Je ne te demande rien d’autre que de me rapporter le plus grand secret que tu connaisses. A présent, bonsoir.

Surpris de s’en tirer à si bon compte, le voyageur se hâta de gagner le village de Cotâpre. Il se réfugia dans une grange afin de dormir un peu, sachant qu’il devrait en repartir très tôt s’il ne voulait pas être chassé par ses propriétaires, comme il en avait l’habitude.

  • Cette vie me dégoûte, songea-t-il, mais jamais je ne donnerai mon âme au diable. Jamais.

Un jour, deux jours passèrent. L’homme, lassé de voler pour survivre et de se cacher pour échapper aux gendarmes, pensait de plus en plus à la curieuse proposition qui lui avait été faite. Torturé entre le désir de rester honnête et celui de devenir riche, il ne savait plus que faire. Mourir l’âme pure ou vivre encore un peu ? Blotti dans un coin d’étable pour moins souffrir du froid, il rêva soudain de plats savoureux dans de douillettes auberges, de verres de bon vin, de jolies femmes sur ses genoux et dans son lit…La date fatidique du rendez-vous approchait. Soudain, il prit sa décision.

  • Mon âme appartient à Dieu pour l’éternité. Vade retro Satanas !

Comme il repartait, l’esprit apaisé et cheminait à travers les bois en direction de Saulieu, il entendit soudain deux personnes qui parlaient à voix basse, tapies dans un fourré. Un homme et une femme.

  • Plus que quelques jours à tenir et je serai libre, murmura la femme. Le poison fait effet plus vite que je ne le pensais.
  • Tant mieux, répondit son interlocuteur. La vie devient impossible sans toi, belle Jeannette. J’ai vraiment hâte que tu m’appartiennes tout entière. Je te veux pour moi seul et pour toujours.
  • Je dois y retourner à présent. A ce soir, mon Georges adoré.

Interloqué, le voyageur n’osa pas bouger. Quand le couple se fut éloigné, il comprit. Dans le village, tout le monde s’interrogeait sur la maladie de Firmin, époux de Jeannette. Celui-ci dépérissait à vue d’œil et aucune médecine ne semblait vaincre son mal.

  • Je comprends tout, à présent ! Je dois aller raconter aux gendarmes ce que je viens d’entendre.

Pour cela, il devait parvenir le plus vite possible à Saulieu. Comme il était déjà tard, il pressa le pas. Soudain, il perçut un bruit de roues, puis il vit une calèche. Son cœur bondit : une semaine venait en effet de s’écouler. Il constata avec terreur qu’il se trouvait au même endroit que la dernière fois. Aucun doute : le Malin revenait à la charge. Le pauvre homme avait faim. Son courage et ses forces l’abandonnaient. Etrangement, la calèche le dépassa, semblant poursuivre sa route sans le remarquer. Ce fut lui qui héla son conducteur.

  • Hep ! Revenez ! J’ai quelque chose à vous dire !

Le diable fit demi-tour et écouta avec délectation le secret que lui révélait le voyageur.

  • Parfait, lui dit-il quand il eut fini. Prends cette bourse. Te voici à présent devenu le plus riche des hommes.

A peine le voyageur eut-il touché la bourse que soudain, un immense éclair enflamma le ciel d’hiver, illuminant les ténèbres. Un éclair rouge sang. A ce même moment, une atroce douleur dévora son cœur. Il hurla, tant la souffrance était horrible. Avant de pousser son dernier souffle, il entendit un rire sarcastique qui résonna dans toute la forêt et la fit trembler, puis une voix cria :

  • Bienvenue en enfer, sale traître !

Puis la forêt redevint silencieuse, comme si rien n’avait jamais troublé son calme.

Le lendemain matin, on retrouva le voyageur mort au pied d’un arbre. Ses yeux, exorbités, reflétaient la terreur qui avait accompagné ses derniers instants ; ses mains décharnées tentaient de se joindre pour une ultime prière…

Comme on ne le connaissait pas et qu’on ne savait qui prévenir de sa mort, on décida de l’enterrer sur le lieu même où on venait de le retrouver. On fit ériger une croix à cet endroit. Sur celle-ci ne figure qu’une simple date : 1909. On peut encore la voir aujourd’hui, surtout si l’on aime s’aventurer dans les lieux les plus sinistres du Morvan !

 

 

 


notre conteuse, Sandra AMANI se propose de nous faire partager ses légendes selon des thèmes. Durant quelques semaines, elle va nous parler du diable...