Légendes du Morvan

Bienvenue dans les légendes du Morvan de Sandra Amani
L'auteure partage à travers cette rubrique quelques histoires extraites de ses nombreuses publications.
Ses livres sont disponibles dans toutes les librairies de Bourgogne ou sur commande. amani.sandra7@gmail.com


Biographie

Sandra AmaniSandra Amani est une auteure bourguignonne, demeurant à Dijon. Née à Paris, elle a grandi dans le Morvan, à la Roche en Brenil. Elle a ainsi passé son enfance en compagnie d’un grand-père qui adorait l’emmener dans les forêts et lui conter les légendes des lieux par où ils passaient, des pierres mystérieuses, des châteaux en ruines. Cette magie ne l’a jamais quittée et aujourd’hui,elle fait perdurer le souvenir de cet homme en publiant de belles histoires.

Professeur de français, elle débuta sa carrière en écrivant des romans pour la jeunesse. Le premier s’intitulait Rendez-vous avec un fantôme. C’était en 2001. Deux autres ont suivi. Puis, en 2004, elle fut contactée par les Editions de l’Escargot savant, qui lui demandèrent d’écrire des légendes du Morvan. Ce fut le début d’une longue série de publications, ayant toutes pour thème les légendes et le mystère : Légendes du Morvan, Histoires extraordinaires de châteaux en Bourgogne, Légendes du vignoble, Mystères du Nivernais (De Borée), puis les Chemins du mystère et d’autres légendes du Morvan aux éditions Temps impossibles, son éditeur actuel.  Elle a également adapté certaines de ses légendes en livres pour enfants (Le Poron de l’étoile, le Poron des lutins) et scénarisé trois bandes dessinées (Légendes du Morvan, Légendes et mystères de Bourgogne et le Songe de Charlemagne, qui relate l’histoire de la basilique de Saulieu).
Ses livres sont disponibles dans toutes les librairies de Bourgogne ou sur commande. amani.sandra7@gmail.com

 

La bête Faramine de Ménessaire

L

e petit village de Ménessaire est une enclave côte-d’orienne située aux confins de la Nièvre et de la Saône-et-Loire. En effet, quand Moux et Alligny-en-Morvan ont été rattachés à la Nièvre et le hameau de Buis à la Saône-et-Loire par son intégration à Chissey-en-Morvan, le village de Ménessaire a, lui, été inclus dans le département de la Côte-d’Or.

Autrefois, dans ce village, vivait un horrible serpent à sept têtes. On l’appelait Bête Faramine. Ce monstre cruel était très redouté. On en parlait dans toutes les contrées environnantes. Nul ne savait comment la bête était arrivée jusque là. Certains paysans affirmaient même qu’il s’agissait de la fée Mélusine, transformée par sa mère en serpent malfaisant pour la punir des actes mauvais qu’elle avait commis.

La bête vivait dans une grotte située non loin du village. Cela faisait environ sept mois qu’elle s’y était installée et, depuis son arrivée, les catastrophes se multipliaient. Un soir, on découvrit dans un buisson un petit enfant entièrement vidé de son sang ; le lendemain, au détour d’un pré, des vaches gisaient, ventre gonflé, assaillies par des mouches voraces. On supposa que c’était son œuvre. De jour en jour, la terreur grandissait et l’on n’osait plus quitter sa chaumière de peur d’être dévoré par le monstre.

Las de vivre dans cette crainte perpétuelle, les villageois décidèrent d’envoyer une requête à Robin, le seigneur du château.

            - Sire, dit le prévôt, porte-parole des villageois. Nous venons aujourd’hui vous implorer de mettre fin à l’emprise de cette bête. Il vous faut trouver un moyen de la neutraliser car nous tremblons pour nos femmes et nos enfants !

Le seigneur, ennuyé, ne sut que répondre, car il n’avait encore jamais été confronté à ce genre de situation. Il décida d’envoyer un de ses plus courageux soldats vers la bête afin de discuter avec elle et peut-être trouver une solution qui conviendrait à tout le monde et permettrait de rétablir le calme dans la contrée.

Le soldat partit, fier d’avoir été choisi pour la mission. Arrivé à la grotte, il vit que la Faramine se reposait. Six de ses têtes étaient posées sur le sol et fermaient les yeux, tandis que la septième faisait le guet.

            - Ne sois pas hostile, bête, cria-t-il de loin ! Je ne viens pas pour te tuer. Mon seigneur m’envoie pour te demander ce qu’il faudrait que nous fassions pour que tu nous laisses en repos et que tu cesses de t’en prendre à nos enfants et nos animaux.

            - C’est très simple, répondit l’infâme créature, sans même prendre le temps de réfléchir. Chaque samedi, il vous faudra tirer au sort une jeune vierge. Celle-ci constituera mon repas pour la semaine. Si vous faites cela, plus jamais, vous n’aurez de mauvaise surprise.

Un horrible rictus signifia le congé du soldat, qui repartit, jambes tremblantes, craignant la colère de son seigneur.

La mort dans l’âme, il lui fit part de la décision du monstre. Lorsqu’il arriva dans la salle du trône, le suzerain disputait avec Mélissande, sa fille, une partie de tric-trac[1] acharnée.

            - Apparemment, soldat, tu ne m’apportes pas de bonnes nouvelles, si j’en crois ta mine sombre. Allez, conte-moi ton entrevue avec le serpent à sept têtes.

Le soldat lui rapporta fidèlement les paroles de la bête, ainsi que son verdict sans appel. Le roi ne put contenir sa colère :           

            - Il est hors de question que nous lui obéissions ! Nous ne pouvons ainsi sacrifier chaque semaine une jeune fille ! J’attendais mieux de toi, espèce d’incapable !

            - Père, murmura la demoiselle, en tentant d’adoucir sa fureur. Je pense que si vous ne faites pas ce que demande Faramine, il nous faudra déplorer encore des centaines de victimes.

            - Eh bien soit, conclut le seigneur en soupirant. Puisque même ma fille semble d’accord, nous devons nous résoudre à accomplir la volonté du monstre. Page ! appela-t-il. Prépare des morceaux de bois sur lesquels tu inscriras le nom des pucelles âgées au moins de quinze ans. Mets ces noms dans un sac et, chaque samedi, nous procéderons à un tirage au sort.

Le page s’exécuta donc. Lorsqu’il eut terminé sa sinistre besogne, la jeune fille se tourna son père, s’empara d’un dernier bout de bois, inscrivit dessus un nom puis dit :

            - Il me semble, Père, que votre page a oublié d’écrire un nom. Voici, à présent, cet oubli réparé.

Le seigneur la regarda sans comprendre.

            - Vous devez vous tromper, ma fille. Mon page n’a oublié personne.

Mélissande le fixa de ses doux yeux bleus et avant qu’il n’ait le temps de comprendre le sens de ses mots, elle prononça cette sentence sans appel :

            - Père, j’ai moi aussi quinze ans !

Le lendemain était un samedi. On devait donc procéder au funeste tirage au sort. Le seigneur avait décidé de se soumettre à cette tâche immonde. Tout le village avait reçu l’ordre d’être présent sur la place publique. Les mères, émues, serraient dans leurs bras leur progéniture  les yeux rivés sur le sac, dans lequel Robin plongea sa main. La jeune Flore, fille aînée du comte Albert, fut désignée pour nourrir la bête, cette semaine-là. On entendit un long soupir de soulagement dans la foule. Deux soldats arrachèrent aussitôt la pauvre enfant des bras de sa mère en larmes. Puis on l’emmena, en procession, au fond de l’antre maudit. Pendant de longues minutes, on entendit des cris déchirants. Les gens priaient devant la grotte, implorant la clémence de la bête. Tout à coup, un terrible silence signifia que Dieu n’avait pu sauver la fillette.

Les semaines passèrent. Chaque samedi, une nouvelle victime subissait les crocs de la bête Faramine et, ainsi, chaque samedi, une nouvelle famille s’endeuillait. Le seigneur ne savait plus que faire pour divertir son peuple. Le dimanche, celui-ci organisait des tournois ou faisait jouer des fabliaux afin d’amuser ceux de ses sujets, de moins en moins nombreux d’ailleurs, qui avaient encore le cœur à rire.

Un beau jour, le sort désigna Mélissande. Ce fut un choc pour les chevaliers qui espéraient en secret la prendre pour épouse. Robin, dévoré de chagrin, refusa d’accepter la volonté du destin. Les villageois rassemblés l’observaient, guettant le moindre de ses gestes.

            - Père, lui ordonna sa fille, en colère. Au nom de toutes ces pauvres vierges qui ont subi avant moi le terrible sort, j’exige que vous me laissiez rejoindre la grotte. Si vous m’en empêchez, je mettrai moi-même fin à mes jours. Je refuse que vous déshonoriez notre famille en commettant une si grave injustice.

            - Qu’à cela ne tienne ! hurla Robin, à bout. À quinze ans, on est en âge de se marier ! Que celui qui veut obtenir la main de ma fille entre avec elle dans la grotte et tue la bête avant qu’elle ne la dévore !

Alors que peu d’hommes répondaient à l’appel du seigneur, un chevalier que personne ne connaissait à Ménéssaire annonça qu’il souhaitait accomplir la prouesse. Il pénétra dans la grotte avant Mélissande et, sans que le monstre n’ait eu le temps de réagir, d’un coup vif et puissant, il trancha les sept têtes qui se retrouvèrent au sol, langues pendantes. La demoiselle, à demi-évanouie de terreur, sortit de l’antre au bras de son vainqueur, que la foule ne cessait d’acclamer. Les jeunes filles désormais hors de danger lui sautaient au cou pour l’embrasser. Mélissande, reconnaissante, ne fut pas longue à éprouver de l’amour pour son sauveur. Au comble du bonheur, Robin voulut organiser immédiatement la cérémonie du mariage.

            - Hélas Monseigneur ! regretta le chevalier. Une promesse me lie dans un pays lointain, où une pauvre reine attend mes services. Damoiselle Mélissande, je vous demande de patienter et de me faire confiance : je serai de retour d’ici un an et un jour.

            - Soit, répondit le père, déçu, mais si vous n’êtes pas revenu dans les temps, je ferai comme si vous n’aviez jamais existé et j’offrirai ma fille en mariage au premier qui se présentera et dira qu’il a vaincu la bête. Je le jure solennellement. Votre visage s’effacera de ma mémoire. Vous deviendrez pour moi un parfait inconnu et j’ignorerai vos prouesses passées.

Avant de partir, le jeune homme retourna dans la grotte et trancha les sept langues de la créature. Puis il les rangea dans un mouchoir. La châtelaine le regarda s’éloigner sur son magnifique destrier.

            - Et s’il ne revenait jamais ? songeait-elle. S’il trépassait avant de d'avoir accompli sa mission ?

La mort dans l’âme, elle se résigna à rentrer au château. Son père, pour fêter la victoire du chevalier, organisa une grande fête qui lui fit un peu oublier sa détresse.

Comme un an et un jour venaient de s’écouler et que le vainqueur ne revenait pas, le seigneur, pressé par sa fille, lança un appel dans tout le royaume afin de retrouver le preux guerrier. Celui-ci resta sourd à cet appel. Alors un charbonnier se présenta, prétendant que c’était lui le vainqueur.  Malgré ses vilaines manières, Robin fut bien obligé de proclamer le mariage, puisqu’il s’y était engagé.

Le jour de la cérémonie, alors que la malheureuse Mélissande se préparait à exaucer le souhait de son père, on entendit le hennissement d’un cheval devant l’église. Peu de temps après, la porte s’ouvrit brusquement et le valeureux chevalier se précipita aux pieds du seigneur :

            - Sire, implora-t-il. Je vous demande juste un peu d’attention. Je suis le vainqueur de la bête Faramine et la main de votre fille me revient.

            - Jeune homme, répondit Robin qui l’avait bien reconnu. As-tu une preuve de ce que tu avances ? lui demanda-t-il en espérant une réponse positive.

Tout le monde observait la scène. Melissande, tremblante, fixait le chevalier. Ses yeux le suppliaient de la sauver de cette terrible union. Sans se laisser impressionner par les hurlements de la foule, le chevalier sortit alors de son mouchoir les sept langues du monstre sous les yeux de l’assemblée ébahie. Folle de joie, la demoiselle se jeta dans les bras de son père, pendant que des soldats s’emparaient du charbonnier pour le chasser de l’église.

Le mariage fut célébré le samedi suivant. Toutes les rescapées de la bête étaient présentes, vêtues de blanc, des fleurs dans les cheveux. Les chaumières avaient été ornées de roses. Des paysans venus de Moux et d’Alligny jouaient de la vielle. Jamais le fief de Ménessaire n’avait connu plus grande liesse. Ce jour-là, le seigneur décida que, chaque année, le jour de la fête de Marie, une messe serait dite en hommage aux malheureuses victimes du monstre.

De nombreuses années plus tard, Ménessaire fut pillé par les Grandes compagnies qui parcouraient la région, puis en partie brûlé par Louis XI en guerre contre la Bourgogne.

Cependant aujourd’hui, le château, devenu chambres d’hôtes, surplombe fièrement le village et l’immense forêt. On peut encore admirer ses quatre tours rondes, surmontées d’un magnifique toit aux tuiles vernissées. La grotte de la bête fut solidement murée au moyen d’une grosse pierre dans les années qui suivirent sa mort.

Toutefois, si vous vous promenez dans la grande forêt environnante, ne vous retournez surtout pas si, derrière vous, les feuilles bougent. Vous pourriez voir son fantôme surgir d’un buisson.

Avec l’aimable autorisation de M. Bernard Mainçon, propriétaire du château de Ménessaire.


[1]Ancêtre du jeu de dames

 

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