La vallée de l’Ouche a cette lumière étrange des orages qui ne tombent jamais, puis le lendemain elle est écharpée de brume d’été et de fine pluie qui perlent la matinée. Dans le village de magnifiques maisons fleuries, un restaurant amusant et sympathique, un des merveilleux lavoirs de la vallée et une drôle d’église. Le village se resserre en étages bien rangés et rien ne laisse soupçonner une autre merveille si on ne pousse pas la grille ouvrant sur une cour intime enserrée de majestueux tilleuls, de sages allées gardiennes du château et des grands communs aux boiseries bleues.
Le nez au ciel sur la poutraison d’un immense porche que je traverse, un jardin s’ouvre à moi…
Un jardin tout en perspectives, découpé sur les monts qui l’entourent et les deux rivières qui le traversent, l'Ouche et la Gironde. Au fil de ma promenade de 15 août, je vais découvrir le superbe potager en terrasses surplombant le parc, le verger traditionnel, la prairie naturelle, le belvédère, la carrière, les lisières, l'étang et les sous-bois formant un ensemble d'atmosphères variées et déroutantes.
Un jardin ceint de hauts murs de pierres sur lesquels s’adossent la rue qui monte en haut du village dont on voit d’ici les belles maisons typiques. Le château ne semble qu’un écran de pierres où la façade arrière livre une vue merveilleuse, embrassant le déroulement continu des croupes boisées et des prairies vertes ou blondes...
Et l’on pourrait s’attendre un jardin dessiné à la française, ou encore de dégoulinade de vasques fleuries. Ce serait oublier le paysage de la vallée de l'Ouche qui dut tant séduire le bâtisseur du XVIIIe siècle qu'il y inscrivit un rêve d'architecte, une demeure à la fois fermée et ouverte sur l'infini.
Véronique et Jean Bernard Guyonnaud m’accueillent avec une simplicité tout aussi naturelle que le paysage qui les entoure.
Sofyia chante de son bel accent et de sa voix claire dans la cuisine et Jean Bernard Guyonnaud ouvre sans façon les portes d’un salon sobre plongeant sur le jardin. De belles grotesques, de toiles contemporaines remplacent avec bonheur « la galerie de faux ancêtres » comme se plait à dire monsieur Guyonnaud qui livre sa passion pour ce lieu vivant et le jardin dont lui et son épouse tombèrent amoureux en 2002.
Tout commence par une histoire d’amour avec un potager. Car si le jardin est devenu parc paysager suite à l’initiative de la famille Bouchard au milieu du XIXème, c’est en raison de son exposition plein sud, appropriée aux cultures vivrières que le potager a ainsi été placé.
Et c’est bien lui qui séduisit le couple au point qu’il en dessina une vie …de château …mais surtout à cour et à jardin !
Recréé depuis 15 ans, le parc du XIXème siècle est classé "Jardin Remarquable" depuis 2004, inscrit à l’inventaire des sites et monuments historiques (ISMH) en 2005, il s'étend sur 8 hectares.
Jean Bernard Guyonnaud, après avoir chaussé les bonnes lunettes, évoque la passion commune de la famille pour certaines formes d’art, le happening entre autres. Car si le jardin est vivant, les murs parlants, les animaux peu farouches. Un lieu avant tout vivant des manifestations culturelles ou artistiques qui s’y déroulent toute l’année.
Et il est vrai que, certains soirs d’été, l’on peut entendre de drôles d’oiseaux chanter les Noces de Figaro sur fond de « craquotis » de grenouilles que côtoient sans façon les hérons. Ou encore s’attarder, un bel après midi d’automne, sur d’étranges et merveilleuses charrettes de courges aux formes aussi variées que colorées.
Ici on va de fêtes en festivals, sans façon ni manière et c’est Véronique qui « porte… la culture » … Jean Bernard s’occupant lui… de la culture.
Un duo « Papagueno Papaguena » qui accordent ses voix pour un enchantement en perpétuel renouveau. Cette année, Véronique a parsemé le jardin de belles maximes posées là, au milieu des fleurs, comme pour saisir le visiteur d’une poésie plus intense encore.
Jean Bernard Guyonnaud raconte comment fut accueilli le premier colloque national sur la recréation du jardin. S’en suivirent de nombreux évènements, drainant passionnés et bénévoles qu’avait su intéresser le précédent propriétaire, Monsieur Garaudet, comme par exemple l’association des Jardins de l’Arquebuse. Monsieur Guyonnaud aime à parler de cette belle dynamique, de cette ouverture d’un lieu historique à la vie bien inscrite dans le XXIème siècle.
« Ce patrimoine c’est 50% familial et 50% de mode de vie, sans doute atypique mais tellement sympathique. Les rencontres avec les artistes pigmentent de couleurs, de charme et de beaux moments la vie de notre famille actrice d’une culture vivante, de rencontres où chacun peut exprimer sa sensibilité. Nous permettons aux évènements d’exister plutôt que de les porter… C’est ce qui nous différencie de bien d’autres lieux plus conventionnels. ».
Le coup de cœur de mon hôte restera sans doute Le Pigeonnier des Rêves. Des rêves écrits, dessinés, tout seul, à deux ou en famille, matérialisant des moments de vie sur de jolies feuilles qu’on enroulera pour les insérer dans une bouteille qui viendra combler un des 1700 boulins que comptent le pigeonnier qui domine le jardin de sa belle rondeur. Des rêves qui s’envoleront un jour sans doute ou pas …
Dans ce lieu tout peut bouger et évoluer presque du jour au lendemain en fonction du temps, du temps qu’il fait, du temps qui vit et qui passe…
Un autre coup de cœur pour le couple est la création en 2012 de la Serpentine de Buis d'Hubert Puzenat qui monte du bas du jardin vers le château.
Hubert Puzenat, originaire d’une famille d’industriels de Bourbon Lancy en Bourgogne, parcourt parcs et jardins, historiques ou contemporains, privés ou publics, de France et Navarre depuis très longtemps, avec ses précieux outils de taille dont il ne se sépare jamais, pour conseiller, tailler, sculpter, restaurer et entretenir buis et topiaires de toutes formes et de tous âges.
Si vous interrogez Véronique Guyonnaud, elle vous dira :« Hubert Puzenat est pour moi un artiste et un Troubadour des Jardins, mettant en œuvre à la fois sa créativité d’architecte, et son précieux savoir-faire de jardinier, usant de sa vitalité contagieuse au service de la beauté .Quand il passe à Barbirey, il s’installe pour une « campagne » d’une semaine, et partage notre vie familiale, ce qui lui permet de nous connaitre pour mieux discerner nos attentes. »
De coup de cœur en histoire d’amour, Jean Bernard Guyonnaud raconte la plantation des nouvelles vignes dignes représentantes des cépages bourguignons et, quand il en sera temps, des différentes tailles de nos vignes classées au patrimoine mondial de l’UNESCO. Un exercice de style que mes hôtes et les jardiniers aimeraient voir fleurir au Patrimoine Bourguignon … mais aussi avec les fleurs des prés qui ici s’expriment en toute liberté.
Un souhait que je formule de concert avec eux avant d’aller écouter celui des oies de Guinée qui discutent paisiblement au bord de l’étang.
« Un domaine végétal à la richesse élégante dans tant de simplicité qu’il confère à une certaine humilité. Et c’est bien là notre rôle que d’être une vitrine valorisante pour la Bourgogne ».
C’est sur ces mots et une phrase de Maupassant que mon hôte m’ouvrira le petit portillon du potager.
Tout feu tout flamme Les Noces de Figaro La fête des Courges
Une balade à l’écoute de tous les sons du jardin avec quelques éclairs au loin et des lumières précieuses de la vallée de l’Ouche. Des arbres remarquables, platane, sequoïa, marroniers, fresnes, érables champêtres, cèdres, savonnier se dessinent plus bas en silhouettes au vert changeant. Le jardin se prolonge en verger conservatoire de fruitiers de la vallée de l'Ouche, poiriers, pruniers, pommiers, cerisiers, cognassiers, abricotier. Les arbustes quant à eux de déclinent en une belle collection de viburnum et lilas, défleuris à cette époque, viornes, buddleias choisis pour la qualité de leurs feuillages ou de leurs floraisons formant des massifs denses.
Les plantes vivaces offrent de remarquables pivoines arbustives et herbacées, une collection de dahlias, d'iris et toutes les fleurs champêtres des prairies, sous-bois ou zones humides. L’insolence éclatante des zinias côtoie la verdeur acide des fenouils sauvages alors que se frissonnent avec douceur centaurées et lavatères roses.
L’exubérant potager est un bonheur de courges, de tomates, de haricots à rames. Datant du XVIIIème, ses plans retrouvés en archives, il reste le témoin de la vocation agricole du domaine du château, anciennement seigneurie au XVIIIème et dont les communs en attestent encore l’époque.
Je partirai à la recherche des bancs (au nombre de cinq) disséminés dans le parc par Jacques Vieille, un des cinq artistes invités à travailler au jardin de 1995 à 2000.
L’étang, creusé au XIXème, en forme d’un cœur dont la pointe forme une île, m’invite à un paysage romantique à souhait. Platane plus que centenaire descendant en cascade sur l'eau, familles d’oies et canards conduites par un cygne «chanteur», prairie engazonnée à perte de vue, couverte de fleurs des champs au printemps… l’enchantement très britannique est là et sonne comme une balade irlandaise en passant le petit pont.
Erable multi centenaire Saule pleureur bien vieux
Selon le principe du jardin anglais, retour aux sources, à la nature; rejet de la rectitude du jardin classique, recherche de formes naturelles et harmonieuses- la limite de propriété n'est plus définie par un mur ou une clôture mais par ces lisières qui créent le lien entre le jardin et le paysage environnant. Cette limite indéfinie permet un prolongement du jardin à perte de vue ...
Je longe les zones humides où le cours la Gironde ainsi que les abords de deux pièces d'eau sont aménagés de plantes de berges originaires de la région Bourgogne ou spécialement acclimatées pour le jardin.
La « pièce d'eau », est une réalisation de l'artiste Eric Samakh, plasticien sonore, qui utilise des processus relevant soit de la technologie, soit de la nature. Creusé en 1997, cet étang était destiné à préparer une niche naturelle adaptée à l’accueil de grenouilles.
Car il y a à Barbirey une situation paradoxale avec l’implantation de ces batraciens qui chantent à côté des canards et hérons déjà présents sur le site et perturbateurs ou prédateurs de ces grenouilles.
Un autre regard ainsi est offert et cette sorte « d’auditorium écologique » peut prendre toute sa place dans l’histoire de la re-création de ce parc, par définition vivant et donc en en évolution continuelle.
Au fond du parc, dans la partie la plus libre, celle ou la main de l'homme se contente d'être au service du végétal, sans chercher à lui imposer ses contraintes, la carrière forme une sorte de petit amphithéâtre rocheux où le temps se pose comme un poème de Rousseau, incitant au calme… Enveloppante et à la fois inquiétante pierres habillées de mousses dont émergent par endroit quelques arbustes au port tortueux …
Sequoia Une gracile tendre Les marches de la carrière
Savonnier Ginko
Bois des senteurs aux odorants, savonnier et rosiers des chiens accompagneront ma sortie de ce site qui n'est pas unique ni pour la taille de ses tours, ni la hauteur de ses murs mais pour l'alchimie de ses tuiles avec ses pivoines, de ses murs de pierres sèches avec ses dalhias, de son potager à la française avec le parc à l'anglaise, du bâti avec le végétal... !
Un peu d’histoire !
Le château conserve ses communs du XVII et XVIIIème siècles réunissant granges, pigeonnier, écurie, lavoir, pressoir, four.
Le domaine possède une solennelle avec sa grille de fer forgé, située au bas de la vallée. Une longue allée en pente douce, anciennement bordée d'arbres, monte jusqu'à la terrasse du château. Le corps de logis central fut bâti par le financier Jean Paris de Montmartel en 1763. Pavillon de campagne plus que véritable château, il fut acquis en 1783 par le président Grosbois puis, au XIXe siècle, appartint successivement aux Tardy, aux Bouchard et aux De Blic.
Les principaux remaniements du parc datent de cette époque Le vallonnement du domaine se prêtait admirablement à l'application des préceptes paysagers en vogue au XIX ème siècle. En 1861 les deux ailes ont été ajoutées au corps central de la demeure. Une brochure et un plan de 1891 présente un « parc planté de grand et beaux arbres avec son lacis d'allées sa pièce d'eau centrale agrémentée d'une île et son vaste beau potager en terrasse ».
Le Père Charles de Foucault (1858 - 1916) surnommé "l'ermite du Sahara" a séjourné ici chez sa soeur Marie de Blic à plusieurs reprises.
Delphinium Orangers du Mexique Zinias
Dalhias sur fond de blé Centaurées et lavatères
Les exceptionnelles !
Le potager !
Le fenouil sauvage Les haricots à rame
Les courges qui ici se fêtent à l'automne
Les belles insolites !
Le patrimoine architectural !
Le pigeonnier au 1700 boulins
La maison du four à pain Le mur de ruches L'orangerie
Je reviendrai un matin de brume, un après midi d’automne ou d’hiver enneigé, dans ce jardin où la magie tient à son apparente indiscipline !
Crédit photos
Avec l'aimable autorisation de Jean Bernard Guyonnaud pour les Fêtes et Manifestations
Marie Quiquemelle pour le Domaine et Jardins
Contact
Veronique Guyonnaud
03 80 49 08 81 ou 06 62 75 20 94
Email : jardinsdebarbirey@gmail.com
m.quiquemelle@echodescommunes.com