Légendes de Châteaux en Bourgogne

Découvrez les splendeurs et mystères des châteaux de Bourgogne dans le nouveau livre de Sandra Amani Légendes de Châteaux en Bourgogne.
Il sera disponible dans toutes les librairies de Bourgogne ou sur commande chez l'éditeur.

Préface de l'auteure

Au Moyen Âge, la Bourgogne regorgeait de châteaux majestueux. Certains ne sont plus que ruines, noyées dans un fouillis de ronces, tandis que d'autres exhibent encore fièrement leur donjon de grès rugueux. Au temps des croisades, les châtelaines esseulées avaient coutume de scruter l'horizon depuis le sommet de ces tours. Inlassablement, elles guettaient le retour du preux chevalier qui avait su mettre leurs sens en émoi...

Sandra Amani nous plonge au cœur de ces forteresses d'autrefois. Leurs murs crénelés, témoins silencieux de moments de félicité, mais aussi de drames cruels, vibrent sous la plume vivante et acérée de l'auteure. Ses histoires, souvent tirées de son imagination fertile, reflètent aussi parfois une réalité implacable. Amour et trahison s'y entremêlent, dans un foisonnement de sang et de larmes...

Parsemées de quelques incursions à notre époque, la plupart de ces légendes nous emportent au temps des tournois, où les lances s'entrechoquent pendant que les épées rutilantes des duellistes étincellent sous le soleil qui darde ses rayons d'or et de feu.

Tapi dans les souterrains de ces imposantes bâtisses, le diable n'est jamais loin... Malheur aux égarées, follement éprises du Malin, qui lui vendront leur âme ! Près des hautes murailles, sorcières et bêtes immondes rôdent dans les entrailles de la terre, et, à la nuit tombée, les fées virevoltent autour des arbres noueux nimbés d'une brume irréelle...

Ouvrez sans crainte ce livre, et buvez jusqu'à la lie les gouttes de sensualité, de haine et de maléfices qui suintent de chaque pierre des châteaux de Bourgogne !

 

La couverture est signée par le peintre Jipe Vieren. 

 

Extrait du livre.

Le monstre de Chaudenay

Le château de Chaudenay se dresse au cœur d’un petit village de l’Auxois qui porte son nom. Huit tours autrefois le constituaient, mais au fil des siècles et des guerres, il devint moins imposant. Aujourd'hui, plusieurs tours manquent et le donjon, niché dans un îlot de verdure, ne garde que ses murs. Une légende tenace prétend qu’autrefois le Masque de fer, fils illégitime d’Anne d’Autriche et demi-frère de Louis XIV, aurait été retenu prisonnier dans la forteresse. 

On mentionna la bâtisse pour la première fois en 1152, époque où une dame de Chaudenay et Hugues, son frère, l’habitaient. Mais ce que l’on ignore, c’est qu’environ un siècle plus tôt,  un drôle de personnage y demeurait…

Par un beau soir de juillet, Hélène, la propriétaire des lieux, avait convié les jeunes seigneurs du voisinage à une fête somptueuse, leur réservant les plus belles de ses servantes. Les chevaliers étaient heureux dès qu’ils pouvaient approcher la superbe châtelaine, ayant au fond d’eux le désir secret de devenir son époux.

Car Hélène avait toujours refusé de se marier, même avec le père de Robert, son fils, à présent âgé de douze ans. L’homme ayant disparu peu de temps avant la naissance de l’enfant, on n’avait jamais su ce qu’il était advenu de lui. Le petit avait grandi choyé par ses nourrices, mais sans amour, car sa mère lui préférait la compagnie d’aventures sans lendemain.

— Cesse de m’importuner ou je t’étrangle ! l’entendait-on souvent crier lorsque Robert se faisait trop envahissant quand elle recevait ses amants.

Alors, les serviteurs, soucieux de ne pas déplaire à leur maîtresse, emmenaient Robert dans sa chambre, en lui enjoignant de laisser Hélène tranquille. En effet, tout le monde craignait cette femme dont la cruauté dépassait souvent l’entendement. Aucun mendiant n’osait se présenter au château, de peur de subir sa colère et, au village, on s’arrangeait pour ne jamais croiser sa route.

Il était presque minuit. Hélène et ses invités avaient beaucoup bu et la fête battait son plein. Ivres et repus, les hommes se jetaient sur les servantes qui, sans broncher, subissaient leurs assauts.

— Madame, annonça l’un des gardes en entrant dans la grande salle. Quelqu’un vous demande à la porte du château.

— Mais qui se permet de troubler ma soirée ! s’écria Hélène en jetant sa coupe de vin au sol et en secouant ses longs cheveux noirs. Je vais de ce pas recevoir le manant qui a cette audace !

Furieuse, elle jeta une cape sur ses épaules nues puis se dirigea vers l’entrée de la forteresse. Là, se tenait une vieille femme, entièrement vêtue de haillons. Hélène réprima un sursaut de dégoût à la vue des mains sales et du visage crasseux de la mendiante.

— Dame Hélène, auriez-vous l’amabilité de m’offrir l’hospitalité pour cette nuit ? demanda la pauvresse en la fixant de ses petits yeux verts au regard perçant.

— Et vous, auriez-vous l’amabilité de passer votre chemin ? répliqua la châtelaine en grimaçant. Jamais une hôtesse aussi puante et laide que vous ne franchira le seuil de mon logis ! Plutôt me changer en monstre ! Gardes, continua-t-elle, saisissez-vous de cette horreur et conduisez-là le plus loin de moi possible avant que je ne l’étrangle de mes propres mains !

Comme les gardes s’approchaient de la femme pour la chasser, celle-ci leva les bras.

— Arrière ! leur cria-t-elle.

Les gardes s’arrêtèrent net. Pétrifiés par un mystérieux sortilège, ils ne pouvaient plus bouger. Terrifiée, Hélène tenta de rebrousser chemin, mais elle-même s’aperçut qu’elle était clouée au sol.

— Mauvaise engeance ! dit la vieille femme en lançant à la châtelaine un regard empli de mépris. Incapable d’être une bonne mère, tu as préféré la débauche à ton fils. Tes sujets craignent ta folie et moi je sais que tu n’hésites pas à tuer les gens qui ne te plaisent pas, même sans raison. C’est pourquoi on m’a envoyée ici pour te punir, moi, une puissante sorcière. Ton souhait va se réaliser. Monstre tu es, monstre tu voulais être, monstre tu deviendras, et sur-le-champ. Tout le jour, tu resteras prisonnière dans ton maudit château mais la nuit, hélas, malheur à celui qui croisera ton chemin. Mon pouvoir n’est pas assez fort pour t’empêcher de nuire entièrement. Seul un homme pur et pieux pourra te faire périr.

Aussitôt, le corps et le visage d’Hélène se couvrirent d’écailles, tandis que sur sa tête poussaient deux horribles cornes. Une longue queue compléta sa métamorphose. Des dents acérées prirent place dans sa bouche. Épouvantée, elle retourna dans le château. Tout le monde hurla en la voyant. Certains invités parvinrent à fuir, mais d’autres demeurèrent prisonniers et, très vite, finirent dévorés par la bête. Pendant ce temps, Robert réussit à s’échapper en compagnie de deux servantes. Comme il était malin, il prit en passant un sac d’or que sa mère rangeait dans une petite pièce du donjon. Il trouva refuge dans la cabane d’un bûcheron, au cœur de la forêt. Celui-ci s’attacha très vite à l’enfant, qui le considéra bientôt comme son père.

Durant les mois et les années qui suivirent, le monstre fit de gros ravages dans la contrée. Plus personne n’osait s’aventurer dans les environs du château, de peur de le rencontrer. La nuit, il sortait et dévorait tous les gens qu’il rencontrait. Heureusement, il ne pouvait pas pénétrer dans les maisons sans y être invité. C’est pourquoi Robert grandit en toute sécurité, bien à l’abri chez le bûcheron qui lui interdisait de mettre le nez dehors dès le coucher du soleil. Bien souvent, une fois la nuit tombée, Hélène tentait de s’approcher de la chaumière où demeurait son fils.

— Mon enfant, appelait-elle. Ouvre-moi ! Je suis ta mère et je t’aime.

Parfois, elle poussait des cris de colère :

— Obéis-moi ou je massacrerai cet idiot de bûcheron dès qu’il m’en donnera l’occasion.

Mais le jeune homme, qui connaissait bien le cœur de pierre de sa génitrice, refusait de lui obéir et, indifférent à ses menaces, restait calfeutré dans son refuge. En grandissant, il devint aussi bon qu’Hélène était perverse et il se désespérait chaque fois qu’il apprenait que le monstre de Chaudenay avait fait une nouvelle victime.

— Père, annonça-t-il un jour au bûcheron. On ne peut plus laisser ma mère nuire ainsi. C’est mon devoir de délivrer le village de sa présence. Le diable s’est depuis longtemps emparé de son âme et je dois faire cesser ses crimes.

Il acheta un cheval et une épée avec l’argent qu’il avait dérobé en partant puis il attendit le soir. Lorsque l’obscurité fut totale, muni de son arme, il grimpa sur son destrier et se dirigea vers le château. Là, il se posta pour guetter la sortie de la bête monstrueuse. Dès qu’elle quitta son antre, il se précipita sur elle et lui transperça la poitrine avec la pointe de son épée. Hélène, attaquée par surprise, n’avait pas eu le temps de réagir. À présent, elle agonisait en se vidant de son sang, un sang aussi noir que l’était son cœur. Comme elle tardait à mourir, il lui passa sur le corps avec son cheval, ce qui l’acheva. Ensuite, il retourna à la chaumière, où, harassé, il s’étendit sur sa paillasse avant de se laisser aller à de gros sanglots.

Au lever du jour, les habitants de Chaudenay frappèrent à la porte du bûcheron afin d’acclamer leur sauveur. Ensuite, ils portèrent Robert en triomphe jusqu’à l’endroit où se trouvait le corps du monstre. Puis ils allumèrent des torches et enflammèrent  son cadavre, tandis qu’ils riaient et dansaient autour du brasier. Robert, impassible, était assis au pied d’un arbre et observait la fête sans y participer. Les jours qui suivirent, il cessa de manger. Lui d’ordinaire si gai restait enfermé des heures entières à pleurer. Quand il sortait, c’était pour se rendre sur les lieux de son crime. Là, il implorait sa mère de lui pardonner l’acte abominable qu’il avait commis, et Dieu de lui procurer le repos. Le bûcheron lui répétait pourtant sans cesse qu’il n’avait fait que son devoir et qu’à présent, grâce à lui, les enfants de Chaudenay pouvaient battre tranquillement la campagne. Hélas ! L’apaisement ne venait pas.

Un soir, alors qu’il ne parvenait pas à trouver le sommeil, une voix chuchota à son oreille :

— La seule chose que tu puisses faire, c’est t’immoler par le feu afin de purifier ton âme. Ainsi seulement, tu pourras calmer tes souffrances.

Robert comprit qu’il n’avait pas d’autre choix  que d’écouter le conseil de cette voix. Dès le départ de son père adoptif pour la forêt, il quitta la chaumière, un fer à feu[1] dans son sac. Ayant parcouru environ quelques lieues, il arriva dans un lieu isolé, très propice à son projet. C’était une clairière où coulait un petit ruisseau. Là, il ramassa du bois puis alluma un brasier. Quand les flammes s’élevèrent, il se jeta dedans sans hésiter. Alors qu’il s’attendait à souffrir le martyre, le garçon fut surpris de n’éprouver aucune douleur et ce fut calmement qu’il expira...

Quelques heures plus tard, son corps était réduit en cendres. Mais au lieu de se disperser,  portées par la brise, celles-ci s’agglutinèrent un peu plus loin, au pied d’un grand chêne. Sous un soleil torride, la matinée touchait à sa fin. Midi sonna au loin, au clocher de Chaudenay.

C’est ce moment que choisit Margot, une jeune paysanne, pour s’arrêter au pied de l’arbre afin d’y goûter un peu de repos et de fraîcheur, tout en écoutant chanter les oiseaux. Elle remarqua le tas de cendres et, machinalement, enfonça la main dedans... Quelle ne fut pas sa surprise d’y découvrir une belle pomme rouge !

Une pomme au pied d’un chêne ! se dit-elle en souriant. Voilà qui est très drôle. En tout cas, ce fruit est très appétissant et ne demande qu’à être croqué !

Ce que fit la gourmande, après avoir lavé la pomme dans le ruisseau. Ensuite, elle alla retrouver son amoureux avec qui elle échangea des baisers et des caresses durant le restant de l’après-midi.

Quelques semaines plus tard, Margot se rendit compte avec stupeur qu’elle était enceinte.

Mais on n’a rien fait de plus que s’embrasser et se câliner ! songea-t-elle. Mes parents ne me croiront pas si je leur dis ça. Ils vont encore m’accuser de raconter des menteries, c’est sûr !

Donc, au lieu de leur conter une chose aussi incroyable, elle préféra leur avouer qu’elle avait fauté avec son fiancé. Le garçon, aussi innocent que son amoureuse, se dit que c’était un vrai miracle d’avoir ainsi conçu un enfant et qu’il fallait très vite régulariser la situation. La nouvelle mit les parents en colère, mais comme ils adoraient le jeune homme, ils avancèrent le mariage qui devait normalement avoir lieu fin octobre ; ainsi, le « malheur » fut bien vite réparé.

Huit mois après, naquit un beau petit garçon. Poussés par une force inconnue, les parents décidèrent de l’appeler Robert. Le jour de son baptême, une foule interloquée rassemblée dans l’église crut entendre le bébé dire tout haut :

— Je m’appelle Robert et je nais pour la deuxième fois.

Ce furent les seuls mots qu’il prononça. Ensuite, il ne fit plus que hurler.

Interloquée, la foule se mit à genoux, persuadée qu’elle avait sous les yeux l'œuvre  du Seigneur.

Robert mena une vie pieuse et édifiante, tout comme il s’était efforcé de le faire dans sa vie précédente. Bientôt, on ne l’appela plus que saint Robert.


[1] Ancêtre du briquet
Photo Sandra Amani

 

Biographie

Sandra Amani

Sandra Amani est une auteure bourguignonne, demeurant à Dijon. Née à Paris, elle a grandi dans le Morvan, à la Roche en Brenil. Elle a ainsi passé son enfance en compagnie d’un grand-père qui adorait l’emmener dans les forêts et lui conter les légendes des lieux par où ils passaient, des pierres mystérieuses, des châteaux en ruines. Cette magie ne l’a jamais quittée et aujourd’hui,elle fait perdurer le souvenir de cet homme en publiant de belles histoires.

Professeur de français, elle débuta sa carrière en écrivant des romans pour la jeunesse. Le premier s’intitulait Rendez-vous avec un fantôme. C’était en 2001. Deux autres ont suivi. Puis, en 2004, elle fut contactée par les Editions de l’Escargot savant, qui lui demandèrent d’écrire des légendes du Morvan. Ce fut le début d’une longue série de publications, ayant toutes pour thème les légendes et le mystère : Légendes du Morvan, Histoires extraordinaires de châteaux en Bourgogne, Légendes du vignoble, Mystères du Nivernais (De Borée), puis les Chemins du mystère et d’autres légendes du Morvan aux éditions Temps impossibles, son éditeur actuel.  Elle a également adapté certaines de ses légendes en livres pour enfants (Le Poron de l’étoile, le Poron des lutins) et scénarisé trois bandes dessinées (Légendes du Morvan, Légendes et mystères de Bourgogne et le Songe de Charlemagne, qui relate l’histoire de la basilique de Saulieu).
Ses livres sont disponibles dans toutes les librairies de Bourgogne ou sur commande.  
amani.sandra7@gmail.com
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